Vexé, il l'était. En même temps, vexer le gros égo de la princesse n'avait rien de difficile. Malgré tout, Jungo était passé en mode "travail", aussi, il ne se départit à aucun moment de son sourire. Au contraire, celui-ci se fit plus doux, presque un peu désolé. Et du bout des doigts, il replaça une mèche derrière son oreille.

- Je suis désolé de ne pas vous convenir. Mais j'ai 23 ans à vrai dire, j'étudie en criminologie à l'académie de Lifelam.

Mon dieu, mais quel personne arrogant et désagréable. Si la prostituée n'avait pas décidé lui-même de venir à cette soirée, il aurait déjà balancé le premier verre qui passait à la figure de ce grossier personnage.
Tirant sa chaise, il s'assit face au blond en croisant ses longues jambes l'une sur l'autre, posant son coude sur son accoudoir et sa joue, sur ses phalanges serrées. L'oeil aquatique de la vipère se posa sur le lion effarouché, attendant d'enfin attirer son attention pour reprendre :

- Par contre, je vous serais gré de ne pas déranger Andrej, il a déjà assez à gérer comme ça et vous n'êtes pas dans un bar à putes. Ah. Merde. De ce fait, vous n'êtes pas en mesure d'exiger un individu à vos goûts. Le rendez-vous ne dura pas longtemps mais je suis pour tenter de le rendre un minimum agréable, au lieu de plomber votre soirée dès le départ. Alors ... Naël ? Laissez nous une chance de passer un bon moment.

Bon. La poissonnière semblait s'être calmée et tentait visiblement de reprendre de sa superbe. Ce qui était peine perdue vu le scandale qu'il venait de faire et toutes les têtes qui s'étaient tournées dans leur direction. Toujours aussi calme, la vipère épiait le moindre des signaux envoyés par le plus vieux. Dressons un portrait rapide : un peu moins de la trentaine, visiblement le genre à adorer étaler sa riche, ce qui devait surement venir d'un complexe d'infériorité. Parents ? Enfance ? Echec actuel ? Visiblement, sa présence ne lui plaisait pas, donc il était attiré par les hommes d'âge mûrs, ou alors d'une stature bien supérieure à la sienne. Un soumis, donc. Qui n'avait pas du tout envie de passer ces trente prochaines minutes à ses côtés. Eh bien, cela promettait, il allait falloir la jouer fine.

- Une eau pétillante, ce sera très bien.

Mais de bonne famille, ou assez poli, ou encore soucieux de le paraître vu qu'il reprenait la conversation à son égard. Mais l'androgyne n'était pas de ceux qu'on pouvait tromper aussi facilement : la narine de Naël reniflait de mépris à son encontre, ce qui ne fit qu'augmenter le sien, avant qu'il ne fasse une chute vers une ombre plus profonde. Il était là pour le travail. L'autre voulait jouer ? Très bien, ils allaient jouer.

- J'en ai. Mais ne faisons pas comme si je vous intéressais, voulez-vous ? La vipère posa ses coudes sur la table, son visage sur ses doigts croisés en fixant avec fermeté le plus vieux, de son regard dérangé par le piercing qui transperçait l'arrête de son nez, Parlez-moi plutôt de vous, Naël. Qui voulez-vous trouver ici ? Vous m'avez l'air intelligent, vous avez dû venir avec une idée en tête.

Eh bien, on n'allait pas aller loin avec ça. Quel personne désagréable ... un soupir franc mais court se fit entendre, alors que ses lèvres se déformaient en une moue déçue et ennuyée.

- Vous n'êtes vraiment pas coopérant. Je n'ai juste pas envie de m'ennuyer, mais vous êtes tous sauf amusant. Ça en devient presque offençant.

"Presque", seulement ?
Le prince revint se poser dans son siège, le verre au bout du bras, alors que son regard vagabondait vers le lointain, dans l'attente de croiser un regard qui comporterait une once d'attention à son égard. Naël n'avait rien d'un gentleman, en fait il n'avait rien pour lui si ce n'est son visage. Jungo méprisait les autres pour rien mais lui au moins, il avait conscience d'être une petite pute.

- Si tu commences chaque date en beuglant ton mécontentement, je doute que quelqu'un veuille t'offrir la moindre parcelle d'attention. Enfin. Attendons que ça passe.

Et sans même lui offrir un regard, l'étudiant adressa un sourire complice à un homme à une table, plus loin, qui avait eu la chance de croiser son regard.

Pas besoin de le regarder pour deviner son mépris. Le prince était déjà loin et n'avait pas besoin de jouer au meilleur pour avoir déjà gagné. Son intérêt ne s'était pas que émoussé, il s'était tout simplement envolé.

- La prostitution est un business qui combine des horaires correctes, de l'argent à foison et le plaisir de pouvoir avoir tout ce qu'on veut. Par contre si tu cherches vraiment à savoir qui est le plus pathétique de nous deux, je dirais que c'est celui qui aboie comme un rocket parce qu'il est mécontent d'être tombé sur plus attrayant que lui. Maintenant si tu ne comptes pas avoir une discussion correcte avec moi, je travaille, donc ferme la limace qui te serre de bouche pour réserver ta salive à la queue qui, j'espère, te comblera de joie tout à l'heure.

Sourire de l'autre. Un point, une future proie.
Le fantôme fit un geste affectueux au gérant du Lux, non loin, avant de se replacer face au blond, son visage n'éprouvant plus qu'un profond ennui alors qu'il portait son verre à sa bouche.

- C'est une insulte ?

L'attaquer sur sa virilité, quelle erreur.

- Arrête d'aboyer, tu n'arriveras même pas à mordre ma cheville. Je suis genderfluid, alors je prends le compliment avec joie. Ta veste te va très bien au passage.

Et ça, c'était même pas du sarcasme.

Si Jungo ne remarqua pas le geste de la main de son date, c'est pour la simple et bonne raison que tout intérêt envers sa personne qu'il avait pu avoir, avait déserté. Le tableau du blond était fait et le temps, c'est de l'argent : en additionnant les variables, la princesse norvégienne n'avait aucune raison de s'attarder davantage à cette table. Et ce, même si le blond semblait visiblement davantage apte à partager un bout de sa soirée.
Mais le serpent était prétentieux, hautain et surtout, il n'avait pas envie de perdre son précieux temps. Alors même s'il entendait les mots couler de la bouche lascive qu'il ne ferait visiblement pas payer, son cerveau ne prenait pas la peine de capter et de traiter l'information. Preuve physique étant le simple "hum hum" qui fuyait par la vibration de sa gorge.

L'autre souriait toujours, visiblement lui-même ennuyé par son rendez-vous. Trente minutes, c'était trop long. Vu l'heure et la carrure de sa potentielle future proie, il passerait bien un petit moment avec lui. Une chambre à l'hôtel de Malik s'imposait.
Revenant finalement à la conversation, l'étudiant détailla une nouvelle fois l'individu pour être certain de graver un maximum d'information dans sa mémoire, avant de boire une dernière gorgée de son verre d'eau pétillante.

- Merci mais non merci. Tu m'as suffisamment fait perdre mon temps. Mais je te remercie tout de même : si je n'étais pas tombé sur toi dès le départ, j'aurais surement dû assister à davantage de ... "rencontre" aussi ennuyeuse que la nôtre.

Sur ces mots, l'androgyne décolla ses hanches sveltes de son siège pour récupérer sa veste et la rabattre sur ses épaules, sourire insupportablement hautain à clef.

- En te souhaitant une agréable fin de soirée.

Trois petits tours et puis s'en va.

Le propriétaire des lieux était venu sonner la fin de la rencontre, alors Tao Yàn se dépêcha de se lever pour marcher en direction de la proche table. Ainsi, le chanteur se dirigeait vers le Brésil, visiblement. Le blond face à lui lui fit plisser un oeil sceptique : si son visage lui disait quelque chose, il n'était pas sûr d'être capable de le replacer. Mais lorsqu'il se présenta, cela lui revint, étant donné que son styliste - obligation paternelle une fois encore - avait déjà pioché dans certaines collections de l'artiste.

- Tao Yàn Stewart. C'est un plaisir.

Droit et poli, le métalleux tira sa chaise pour s'y asseoir calmement, tirant un peu sur la manche de son col roulé en dévoilant un début de peau encrée. Attendant qu'un serveur passe à portée, il commanda de nouveau de quoi boire un temps soit peu, avant de jeter un coup d'oeil à son interlocuteur. Une demi heure ... et encore une et encore une vu ce qui l'attendait pour la suite. Ce serait certainement bientôt fini.

- Vous souhaitez boire autre chose ? Demanda-t-il en se reposant tranquillement dans le fond de son siège.

Du coin de l'oeil, il fouilla la salle à la recherche de Zephir, avant de rapidement laisser tomber pour ne pas risquer de paraître impoli.

Tao Yàn commençait à sentir l'ennui le gagner. Déjà qu'il se faisait chier en permanence, mais voir tous ces gens défiler, sans compter les mouvements autour d'eux, ça n'avait rien pour reposer son esprit et lui laisser le loisir de se concentrer sur quelque chose. Lorsque son nouveau rencard lui fit comprendre que son visage lui revenait, le chanteur ne laissa évidemment transparaître aucune surprise sur ses traits : well, logique. Quand à la question qui s'ensuivit, l'asiatique ne put retenir un haussement d'épaules rapide, avant qu'il ne porte son verre à ses lèvres comme pour allonger un peu le temps de sa réponse.

- En effet. On m'a ... disons qu'on m'a un peu forcé la main et que je n'ai pas eu le coeur de refuser.

D'une main lâche, il fit un geste en direction de son interlocuteur. Quitte à être là, autant l'écouter.

- Et pour l'instant, votre curiosité est-elle satisfaite ? Quoique ce n'est que le début de la soirée et il y a beaucoup de participants ...

Le blond finirait bien par trouver son bonheur. Lui, il en doutait fermement.

Naël avait l'air ... particulièrement ennuyé et ça ne faisait que renforcer sa flegme habituelle. Le chanteur asiatique retint un mince soupir, jaugeant l'attitude de son rencard du moment avec une absence totale de discrétion. Pourquoi faire après tout, c'était pour ça qu'ils étaient là, non ?

- Hum ... Qu'aimez-vous faire dans la vie, Naël ? Si vous acceptez que je vous accepte par votre prénom.

Tao Yàn n'avait pas particulièrement envie que le plus vieux s'ennuie en sa présence, alors il tenta de lui-même de lancer la conversation - un exploit venant de lui -. De ce qu'il avait entendu, le blond appréciait étaler ses richesses et son égocentrisme s'approchait des sommets, ce qui était loin de déranger l'étudiant : lui, n'en avait aucun. Mais cela voulait également dire que l'homme d'affaires avait certainement beaucoup de choses à dire par rapport à ses loisirs ou à son mode de vie et le musicien savait qu'il pourrait rebondir là-dessus sans trop de problèmes, afin d'espérer passer un moment agréable en sa compagnie.

Apparemment, Tao Yàn avait touché juste dans sa question. Comme il s'y attendait, son rencard de l'instant faisait parti de ce genre de personne qui adorait parler d'elle-même. En soit, c'était loin de le déranger puisque lui préférait tarir ses propos à son égard. Aussi, ce fut avec une certaine satisfaction et peut-être même un peu de soulagement qu'il avisa le visage illuminé du blond qui commença à pioupiouter fièrement.

- A raison, l'or vous va bien. Interrompit le plus jeune lorsque le PDG reprit son souffle.

Il ne semblait pas avoir envie de tarir d'éloges à son égard. C'était assez surprenant, mais pas spécialement désagréable, alors le musicien le laissa patiemment s'exprimer, avant de tiquer sur le dernier point. Ça c'était quelque chose sur lequel il pouvait rebondir.

- Vous avez rencontré monsieur Laroche j'imagine ? Et oui, je le savais. Je travaille en tant que bénévole au refuge de la seconde chance, sur la rive ouest. Amaury est notre vétérinaire principal alors nous le croisons souvent. Vous avez choisi quel type de chien vous voulez adopter ?

Si il nota l'emploi incomplet de son prénom, il ne préféra pas le relever. Après tout, il avait l'habitude que les occidentaux ne soient pas familier de la politesse asiatique qui consistait à donner le prénom d'un des leur en entier.