La soirée avançait. Lente et sans fin. Un mannequin aux cheveux d’or passait d’âmes intéressées en potentiel clients sans se fixer trop longtemps. Cela faisait un moment qu’il ne réfléchissait plus aux actions qu’il effectuait, se perdant dans sa routine sans se soucier des événements extérieurs. Le monde tournait très bien sans avoir besoin de l’implication d’un gamin complètement perdu dans sa vie.
Une main sur sa hanche trop saillante, un rire gras au creux de son oreille et l’américain se trouvait déjà tiré dans les toilettes. Le lieu ? Il n’en avait plus rien à foutre. Tant que ces quelques ronds terminaient dans sa poche, plus rien ne comptait. Rien n’avait jamais compté plus que ça. Si, une seule personne avait dépassé ces chiffres, même s’il passait son temps à la décevoir.
L’homme déposait ses lèvres sur celles qui pourraient sembler innocentes, ses mains moites se faufilaient sous le haut clair de sa victime, palpant la maigre carcasse avec cette satisfaction du prédateur ayant atteint sa proie. Le cadet en contrebas se laissait faire. Une œillade se perdait sur une cabine juste à côté, déjà là, ça aurait été plus discret. Il savait très bien Logan, qu’ils ne pourraient pas rester aussi exposés, au risque de se faire virer de l’endroit. Alors qu’il allait ouvrir sa bouche pour parler, la chaleur se faisait arracher de son corps et ses billes aquatiques tombaient sur une silhouette devenue familière avec le temps.

- Hater ?

Surprise difficilement dissimulée alors qu’il s’en prenait au client. Un coup de main rapide dans ses propres poches, l’autre y avait glissé son argent. Et merde. Le mec vociférait des insultes et beaucoup allaient contre Logan avant qu’il ne s’en aille de cet endroit aux odeurs douteuses. L’américain se frottait le visage et soupirait, ne pas se faire baiser, ça lui allait, perdre un client, beaucoup moins.

- Tu viens de faire fuir un de mes clients.

Sa mâchoire était crispée. Ça promettait rien de bon pour lui à l’avenir. Alors quoi, il allait devoir courir après ce gros porc pour s’excuser et lui offrir une pipe pour s’assurer de sa fidélité ? Putain. Ça réfléchissait vite pour le jeune homme qui allait face au lavabo pour se laver les mains et se rhabillait ensuite correctement, sans jamais adresser un regard à son reflet. Toujours ignorant de cette chose qui pourtant était si attirante pour certaines âmes.

- Il t’as prit quoi bordel ?

La ligne sourcilière se fronçait par moments, ayant du mal à garder son impassibilité si familière. Une paume se perdait dans ses fils blonds pour les rejeter en arrière alors que son attention se portait sur la porte. Mais en face de lui, c’était aussi un client. Putain de dualité interne. Ses vêtements se défroissaient un peu et lui faisait en sorte que cet événement ne transparaisse ni sur sa tenue, ni dans ses cheveux, nul part sur lui en fait.

« Un ami ».
Il l’avait presque oublié ça, avec le temps, que pour Hater il juste était un ami que l’ont pouvait louer à sa guise grâce à un simple coup de fil pour aller voir un film ou sortir en ville. En quelques sorte il s’en rapprochait, les activités étant moins sages et plus nocturnes. Si seulement c’était aussi simple que ça… Mais rien n’était jamais aussi mignon, aussi doux. Pas dans sa vie en tout cas, il n’en avait pas cette chance. Ce n’était que relents de merde et souffle de mort. De la laideur à l’état pur. Qui plus est, qui paierait pour passer quelques instant avec un être dénué de toute expression, de toute vie ? Qui ne serait pas capable lui même de se donner de raison pour son errance sur cette terre. Il n’en valait pas la peine et ne se donnait pas la peine de le cacher.

- Oui, ce qu’il t’as prit. Je ne t’ai pas demandé d’aide, je ne criais pas à l’aide et je ne me débattais pas. Alors je le répète, qu’est-ce qu’il t’as prit d’intervenir ?

Le ton du blond était relativement sec même s’il tentait de se temporiser lui-même afin que ça ne parte pas trop loin. L’autre, bien qu’un gros porc, était un client régulier qu’il voyait au moins une fois par semaine pour 50 à 100 balles. Il était de ceux qui se faisaient toujours présents, fidèles au poste de leur ennui dans leur vie insipide. Sa main se crispait dans ses fils clairs alors que son regard dilaté par l’éclairage et probablement un peu par l’alcool tombait sur le dos de Hater.

- Ce n’était pas un « ami » d’accord ? N’interviens plus jamais dans mes contrats à l’avenir.

L’animal était tendu. Il avait la mâchoire serrée ce qui rendait son os plus saillant et déjà, dans toute sa lâcheté, il s’apprêtait à faire demi tour pour quitter les lieux. Son regard ayant balayé au passage l’endroit, il sentait encore la poigne de l’autre type sur son corps et savait pertinemment ce à quoi il venait d’échapper. Pas un viol. Un moment désagréable serte, mais jamais l’américain n’aurait hurlé ou pleuré pour son intimité bafouée. Quand ne l’avait-elle pas été après tout ? Ses rapports à lui même trahissaient l’estime qu’il portait à sa propre dignité. Un déchet. Un rien. Un animal qui ne méritait pas même une caresse bien que celui qui lui servait de meilleur ami tentait de le secouer. Les contrats de mannequinat manquaient à l’appel aussi. Le dernier lui avait permis d’économiser assez pour être tranquille un moment, mais au final, entre le loyer, les frais, la bouffe, son compte en banque descendait bien plus vite que ce qu’il n’avait espéré.

Le mot tranchant était tombée. Celui qui changeait toute la donne, pour basculer vers quelque chose où le retour arrière était désormais impossible. Enfin, son voile « d’ami à louer » tombait pour afficher sa véritable laideur. La putréfaction qui marquait sa silhouette. Une pute. C’était tout ce qu’il était. Et un mannequin raté au passage. Mais les mots qui suivaient n’avaient rien de ceux de Noah. Ils étaient même aux antipodes de ce à quoi il avait été habitué. Normalement il était celui qui se faisait rabaisser ou au contraire, à qui on disait qu’il valait mieux que ça, qu’il devait se reprendre en main et s’autoriser à être heureux. Dialogue de sourd. Mais l’indifférence de son gagne-pain n’avait jamais été une réaction à laquelle il avait été confronté jusqu’à présent. Ça taillait dans le vif d’une souffrance qu’il semblait percevoir sous toute cette colère. Mais le blond affrontait son regard, même s’il n’aurait pas été contre une fuite en bonne et due forme. Ignoble être vivant qu’il était.

- …

Incapable de se défendre. D’avoir des mots réconfortant. De se montrer vivant. Ses pupilles dilatées par la luminosité et l’adrénaline suivaient les mouvements rapidement, sa main, par réflexe, se posait sur son torse pour attraper les deux fines feuilles. 100 balles. Il comprenait pas. Ça allait trop vite en face de lui. C’était trop subtile.

- Hater.

La porte claquait déjà derrière lui et l’américain baissait les yeux sur le contenu de sa main. Alors même qu’aucun geste n’avait été émit, il se sentait souillé, sale, mal. Pas à cause de l’autre. Cette fois-ci le ressentiment venait de lui-même. Contre lui-même. Sans savoir pourquoi, comment. Mais tel le cafard qu’il était, il glissait les billets dans sa poche arrière jusqu’à entendre les sons étouffés derrière la porte. Sans attendre, il allait l’ouvrir et écarquillait les yeux sous la scène d’horreur. Des éclaboussures écarlates venant tapisser la peau du bicolore ainsi que le visage déformé de douleur qui perdait de plus en plus sa forme originale.
Ses enjambées étaient incontrôlées. Ses bras passaient sous les aisselles de Hater pour tenter de le reculer sans se prendre un coup de coude au passage - toujours épargner sa belle gueule.

- Arrête Hater !

Sa voix haussée, c’était rare à entendre. Il tirait son homologue en arrière, le visage près de son oreille. Espérant que cela suffise à faire redescendre l’autre de sa colère.

- Viens ! On s’en va.

Un ton plus ferme alors qu’il essayait de faire entendre raison au petit jeune qui était d’une tonicité qu’il n’avait pas envisagé. C’est qu’il était gringalet à côté, un souffle et il cassait. Déjà, le vigile s’approchait avec sa tête de monsieur sévère, ayant été averti par les cris de douleur de la victime qui tentait de couvrir les quelques restes de son visage bien amoché. Même qu’il en faisait peur.

- On doit vraiment partir.

Le silence s’imposait à eux alors qu’ils quittaient l’euphorie et la chaleur de la boîte pour affronter l’ambiance froide de la rue. Son expression se refermait tandis qu’il abaissait le visage vers leurs mains nouées, ne pouvant s’empêcher de remarquer que les mains de Hater étaient bien différentes de leur première rencontre. Bien moins douces. Plus adultes. Plus homme.
Quelques mèches blondes tombaient devant ses yeux, ressemblant plus à un gamin se faisant gronder qu’à un professionnel du sexe en plein travail. Déjà, il se disait qu’il avait perdu un client, mais au vu de la fidélité et des mots de Hater, ce n’était peut-être pas plus mal, de se montrer lui-même fidèle. Mis à part le bruit de leur pas, la réflexion commençait à s’éteindre, devenant muette à chaque nouveau mètre engloutit. Pas de question de qui avait tord ou raison par rapport à la situation qu’ils avaient affronté. Aucune intention non plus d’arrêter de suivre celui dont il ne voyait plus que le dos. Son attention déviait une instant sur la seconde main tachée de pourpre. Le néant dans sa tête alors que des questions tentaient d’émerger, bien rapidement étouffées au plus profond de lui.
Son dos rencontrait la matière froide sous les indications implicites et son regard se posait sur la sortie de la rue. Non, il ne cherchait pas à s’éloigner de la présence du bicolore contre lui. Son palpitant était plutôt calme aussi. Quand la chaleur qui émanait du second quittait la sienne, sa nuque roulait pour déposer son regard sur ce visage qui s’était teinté de tant d’émotions en si peu de temps. Il n’était pas fatigué de subir aussi intensément les émotions ?

- Ouais.

Par habitude, ses mains s’enfournaient dans les poches de sa veste en jean, en sortant un paquet de blonde et un briquet. La première rencontrait ses propres lèvres alors qu’il tendait une seconde tueuse vers son… partenaire ? Il faisait rouler la pierre de son engin et inspirait la première taffe qui faisait rougir sa fraise, lui tendant ensuite l’objet sombre, en direction de la main aux couleurs similaires à sa chevelure. Si celle-ci se tendait, il profitait que l’autre attrape le briquet pour se saisir de son poignet, enroulant ses longs doigts pâles autour pour l’empêcher de reculer.

- Tu as mal ?

Une nouvelle bouffée de tabac venait remplir sa bouche avant d’être recrachée. Si on ne parlait pas de lui ça lui allait. Petit être passif qu’il était.

- On peut aller prendre du désinfectant.

On ne savait pas où avait bien pu traîner l’autre déchet. Il relâchait finalement sa main pour tirer les deux billets de sa poche arrière et les lui tendre ensuite.

- L’autre m’a déjà payé.

Et puis, il préférait quand même un restaurant en sa compagnie que juste c’est trois petits chiffres.

L’ignorance et le refus rebutaient un peu l’américain qui fermait sa bouche sur le sujet. N’en pensant pas moins pour autant. Il avait ses côtés de sale gosse même s’il ne montrait rien au grand jour, toujours aussi possessif envers ses émotions. Ce n’était pas courant pour lui de rendre l’argent, mais quand il ne le pensait pas mérité, il ne partait pas avec. Hater étant un client régulier, il n’avait aucun intérêt à lui faire cracher le plus de pognon possible en une soirée. Malgré tout, les deux billets verts retrouvaient leur refuge au fin fond de la poche de sa veste, alors que sa main restait dedans et que la seconde faisait des mouvements d’aller et retour jusqu’à ses lèvres, au rythme de ses inhalations et expirations.

- Ça me va, le loft.

Aucun commentaire sur son travail donc. Quelque part cela le bousculait de sa routine habituelle. C’était si gros, que le fait de ne pas s’y attarder perturbait ces encéphales en sous régime. Au moins cela ne provoquait pas de mésentente. Un point arrangeant qu’il ne pouvait enlever à Hater. Mais Hater avait toujours été comme ça avec lui, dès le début, il lui avait demandé d’être lui-même, de ne pas faire semblant. Et même s’il ne s’exprimait pas sur le sujet, il était devenu une fréquentation qui n’était pas désagréable. Leurs moments le sortait de sa routine et lui faisait se bouger un peu plus. Et ne pas chercher une proie au bar le soulageait quelques jours.
Sa nuque tournait vers les sons puis à l’opposé en reconnaissant la voix du type d’un peu plus tôt. Décidément, il était tenace. Coupant un peu sa respiration comme si cela allait le faire disparaître, l’américain se faisait immobile. Ses paupières s’abaissaient un instant sur ses pupilles. Être discret. Ce petit moment de pause lui faisait sortir la main pleine d’argent de sa poche pour glisser discrètement les quelques ronds dans l’une de celles du vicomte. Puis les rideaux de peau se rouvraient sur ses yeux assombris par la lueur de la nuit lorsque le son s’éloignait des deux comparses. Tirant une énième bouffée mortelle, il se décollait du mur pour entamer leur balade vers leur nouveau lieu de perdition.

- Je te suis.

Sans chercher à rompre le silence, il emboîtait le pas de Hater pour se rendre jusqu’à l’habitation qui ne lui disait rien du tout. Il ne s’embêterait pas à parler de déménagement, l’évidence étant déjà là. Il retirait sa veste une fois le seuil passé, ne dévoilant rien d’extraordinaire, un simple haut blanc. Il n’était pas dans les fanfreluches le blondin.

- C’est beau.

Sujet, verbe. C’était déjà bien.

Bébé ?
Ça l’avait interpellé. Le soupir aussi. Mais il ne commentait pas ce qu’il voyait. Ce n’était pas son droit ni sa place. Ou peut-être que si, en tant qu’ami ? Peut-être un animal qu’il pensait être ici mais en fait non ? Ou alors quelqu’un ? Il ne savait plus, sûrement oublié ou perdu quelque part dans le flou de la soirée. Il arrêtait les hypothèses bien rapidement, étant relativement nul pour ce genre de choses. L’injonction donnée, l’américain allait s’assoir sagement sur le canapé et suivait tous les mouvements de son client qui semblait en proie à une réflexion profonde, voire intense. S’il avait eu des parents corrects, peut-être que cela lui aurait donné une impression de déjà vu au mannequin raté. Mais ce n’était pas le cas. Pour lui c’était même plutôt nouveau. Enfin pas avec son meilleur ami, mais Noah il ne comptait pas. Noah lui il faisait les choses à sa manière et était bien à part de toutes les autres personnes que connaissait Logan. Il l’avait même défroqué sans déposer des billets et en ignorant les exclamations de colère de son meilleur ami.
La bouteille lui faisait pencher la tête de côté. Il n’était pas vin rouge, mais tant que ça se buvait, il n’allait pas faire la fine bouche. Après la tirade et une gorgée, il cherchait les mots qui pourraient satisfaire le second. Parce que c’était ce qu’il semblait vouloir, une explication ? Il respirait doucement et faisait rouler le contenant entre ses doigts. Ses mirettes fixées sur le liquide sombre qui collait aux parois transparents.

- Je n’sais pas.

Bien au niveau des justifications. Toujours au top. Comme s’il allait s’étouffer avec sa salive.

- J’ai pas abusé de toi. Je t’ai dit que je pouvais être absolument tout ce que tu voulais.

Il n’avait juste pas dit dans quelle mesure cela allait et jusqu’à quel point il pouvait être ce tour. Et puis Hater avait semblé vouloir un ami à ce moment là. Mais Logan lui, il n’arrivait pas à mettre les mots sur toutes ces subtilités. Il n’avait pas l’habitude des longues conversations, des longs dialogues, ce n’était pas évident pour lui. Mais il faisait l’effort de ne pas se dérober. C’était trop dur à dire qu’il ne voulait pas encore se sentir jugé ou avoir droit à de longues brimades sur la manière dont il devrait vivre ? Il soupirait un peu et terminait à son tour son verre avant de le reposer sur la table basse. Au moins il n’était plus obligé de répondre étant donné qu’il avait déposé les billets dans la poches de son homologue.

- Si tu t’en fiches, pourquoi t’es énervé ?

Un petit paradoxe après tout. Qu’est-ce que cela aurait pu changer pour son client ? À en croire par l’endroit, il ne devait pas vivre seul ici. Alors non, il ne comprenait pas les enjeux qui se jouaient là.

Estimer mériter son travail. Voilà de bien grandes paroles qui émanaient de son client far. S’il pensait le mériter ? Il n’avait même pas réfléchit à la manière dont c’était arrivé. Ça avait commencé par un photographe aux mains baladeuses au cours d’un shooting puis continué avec des mecs qui glissaient des billets dans ses poches au bar et enfin, il en était arrivé au stade où il en est aujourd’hui. A rechercher par lui même ses clients pour pouvoir manger le lendemain. A y regarder de plus prêt, son parcours se situait dans une continuité qu’il semblait avoir suivit bien docilement, sans chercher d’autres voies. De plus, les commentaires qu’il recevait ne l’encourageaient pas à dévier de ses habitudes. « Bon à rien d’autre que s’faire baiser », « profite tant que t’as ton cul et ta gueule pour toi », « On aime les putes aussi discrètes que toi ». Que de paroles douces et agréables qu’il ne pensait pas avoir ingurgité et digéré. Visiblement si, il n’en serait peut-être pas à ce stade s’il en était autrement. Parfois ça parlait même de Sugar daddy, pour conserver le blond sous une coupe. Proposition qu’il n’avait pas encore accepté, une certaine personne de son entourage ne le tolèrerait pas, il le savait, même si lui réfléchissait de plus en plus. Son nez restait dirigé vers son homologue. Les paroles semblaient profondes. Peut-être trop pour n’être dirigées que vers lui. Ou peut-être pas. Puis ça commençait à parler d’amitié. Notion bien vague pour le blondinet qui ne cillait pas plus qu’avant la question. C’était ce qu’il était payé à être, mais au plus profond de lui, quels étaient ses sentiments ? Voilà des choses qu’il ne se demandait pas. Noah avait dit de lui-même qu’ils étaient meilleurs amis, pour lui ça allait au-delà, s’en était devenu de la fraternité. Et Hater n’était pas non plus qu’un client. Mais la question, exactement celle-ci, ne trouvait pas de réponse chez la prostituée qui s’était refermée sur elle-même. Seulement présente de son physique. Au mouvement brusque, ses sourcils se haussaient sur son front avant de retrouver leur place normale.

- Il en valait pas la peine.

L’autre mec. Celui qui se faisait frapper. Il valait pas la peine que Hater s’attire des problèmes pour lui. Encore moins parce que vieux mec n’avait pas été repoussé par la « victime ». C’était assez comme réponse ? Peut-être pas, probablement pas. La nuque du mannequin pivotait, faisant tourner sa face vers une décoration de la maison. C’était joli ici, on sentait que c’était habité. Pas comme chez lui où à part un bouquin, tout semblait sortir tout droit d’une publicité IKEA. Froid et impersonnel.

- T’es pas chiant, c’est tout.

Pas qu’il était exigeant sur ses fréquentations, mais il appréciait ne pas trouver les heures passées en compagnie d’Hater insupportables. Il avait du s’habituer à son enthousiasme, à ses hausses et baisses de moral qu’il voulait parfois discret pour s’y faire, mais les activités effectuées étaient sympa. Oui. C’était des moments qu’il appréciait quand il était avec lui, même s’il ne le signifiait pas par de grands sourire. Il ne se dégageait pas de la prise, son regard planté dans celui aux yeux vairons.

- J’ai soif.

Encore.

L’américain observait le verre se lever et sentait pourtant que ce toast n’avait rien de joyeux. Le mouvement qui allait avec lui confirmait que non, ce n’était pas un moment agréable entre deux amis. Là il sentait bien toute la distance qu’imposait son statut d’employer. Il comprenait aussi qu’il avait blessé ce garçon qu’il côtoyait de manière régulière. Son étincelle océanique s’abaissait sur son verre qu’il portait finalement à ses lèvres pour l’amputer de quelques millimètres. Est-ce que c’était la fin de leurs aventures ?

- D’accord. Je te le promet, ça n’arrivera plus.

C’était pas compliqué. Ce n’était pas un menteur Logan, il se tenait aux choses qu’il disait. À ce moment là il avait seulement vu l’occasion de se faire de l’argent facile, il n’aurait jamais pensé que cela devienne aussi courant et au final, ça avait finit par être ses quelques pauses dans ses semaines à se faire littéralement baiser comme une chienne en chaleur. Sauf que du plaisir y’en avait pas.
C’était pas désagréable de sortir pour manger, aller voir des films ou jouer aux jeux vidéos toute une après-midi sans conversation très poussée. Il allait pas mentir et cracher dessus. Il avait qu’une vingtaine d’années et malgré sa gueule, c’était pas un vrai adulte. Ça bouffait comme un ado et vivait loin des véritables responsabilités. Comme s’il était terrifié d’entamer la vie comme étant autre chose que faire pour juste survire. Parce qu’il était pas de ceux qui vivaient. Non. Finalement il ne savait même pas si ça place était encore acceptée ici. Sa nuque remuait lentement de gauche à droite.

- Rien. Tu m’as déjà payé.

A moins qu’il n’avait remarqué les billets en trop dans ses poches ? A son tour, il terminait son verre et s’en servait un nouveau. C’était de la peine qu’il provoquait chez Hater, il le confrontait à quelque chose de vraiment très désagréable. Il en avait bien conscience. Et avec lui il avait réussi à faire plus que son beurre. Il réfléchissait un peu. Beaucoup même. Mais c’était Logan, donc son silence ne signifiait rien de particulier pour son entourage. Seul lui était détenteur de ce qui se déroulait sous ses mèches aux reflets d’or. Finalement il terminait son verre, encore et se levait pour observer la télé. Sa nuque tournait vers le bicolore. Est-ce qu’il avait envie de lui faire plaisir ? C’était comme quand il merdait avec Noah, il cherchait un truc qui lui faisait plaisir pour qu’il oubli tout le reste.

- On est à égalité sur Gran Turismo. Tu l’as ici ?

Parce qu’il tenait les comptes de ses parties le grand gamin. Peut-être que son client aussi. Puis il prenait une initiative, peut-être maigre, mais qu’il se disait ferait plaisir à son hôte. Être à égalité sur un jeu et s’en souvenir ça voulait dire que ça comptait, quelque part, à son échelle, non ?

Le vrombissement familier du moteur de la console aurait presque fait sourire celui au visage impassible. Depuis combien de temps avait-il pris cette habitude ? Normalement ses nuits de travail se résumaient par une vague séduction, un bruit de ceinture significatif et une douleur qui s’accompagnait de quelques billets pour conclure l’échange. Mais voilà que maintenant, le blondin avait trouvé un nouveau genre de clientèle. Moins branchée cul. Plus sociale. Bien qu’il n’était pas l’archétype de celui qui animait les soirées avec ses blagues ou son humeur solaire. Attrapant la manette, il se penchait en avant, les coudes sur ses cuisses et le regard planté sur l’écran, près à en découdre avec son… Son camarade.

- Heureusement, ouais.

Parce qu’il aimait bien ça, jouer à la console. Plus que ce qu’il n’y paraissait. C’était un peu le raccrocher aux simplicités et petits plaisirs du monde. Les parties commençaient et les sourcils clairs s’abaissaient sur ce regard profond, signe de sa concentration. Quelques râles sortaient parfois, de frustration. La joie était plus dure à exprimer pour lui. Comme si elle induisait l’ouverture de son être sur quelque chose de bien laid. Une faiblesse qu’il n’acceptait pas en lui-même et encore moins de rendre accessible aux autres. Le cliquetis des joysticks accompagnait le son qui émanaient de la télévision. C’était concentré chez les deux garçons. Il y avait l’envie de gagner, quelque part sous ces fils d’or. La fin des nombreuses parties arrivait. Le visage du mannequin s’abaissait sur celui qui le touchait pour trouver une position confortable. Il posait un pied sur la table basse et son coude sur le haut du canapé. C’était quelque peu sans gène.

- C’pas du temps libre pour rien.

Qu’il répondait avec spontanéité en haussant les épaules. Comme une évidence. Noah lui avait offert sa console et quelques jeux avant de disparaître complètement de sa vie. Il avait mis du temps à l’allumer après cet incident. Zonant beaucoup devant. Faisant des allers et retours pour finalement se décider à utiliser l’engin qui le torturait de sa présence. Ça lui avait valu quelques perles salées bordant la muqueuse de ses yeux. Spectacle toujours aussi pitoyable. Sa seconde main se posait sur le ventre du bicolore alors que son regard remontait sur la télé qui repassait quelques séquences de leurs parties.

- T’veux faire quoi maint’nant ?

Lui il aimerait bien fumer. Il l’aimait trop son doudou de nicotine. Peut-être qu’Hater était fatigué aussi, c’était pas impossible. Il se souvenait des quelques soirées particulières aussi, avec des jeux de sociétés et des expériences culinaires. Oui. Ses clients avaient vraiment été pour le moins particuliers cette année. Il n’allait pas se plaindre de ne pas avoir perdu son pantalon en chemin.

- J’commence à avoir faim.

Ça avait été proposé un peu plus tôt. Mais il ne forçait pas le mouvement. Laissant le temps à celui qui pensait avoir payé la soirée de décidé de leurs prochains plans. Ce problème d’initiatives ne serait pas résolu tout de suite. Peut-être pas tout court. Logan se savait passif, mais il ne luttait pas contre, laissant le choix à ses homologues et se retrouvant complètement dépourvu quand il devait décider.

Les attitudes de l’américain oscillaient brutalement. Le mettant de la place du mannequin torturé et trop sérieux à celle de l’enfant affamé, sans préavis. Logan ne connaissait pas vraiment les entre deux. Ses émotions avaient été comme enfermées dans un petit coffre qu’il n’était pas pressé d’ouvrir. Alors le résultat extérieur pouvait parfois être perturbant. Le blondin allait renchérir sur un « moi aussi », mais la suite des paroles de Hater le laissait muet. Non il n’avait jamais vraiment essayé. Inspirant, il posait ses mains sur ses genoux et s’appuyait dessus pour se redresser à son tour et le rejoindre.
Pareil à un animal curieux, mais sans la démarche hésitante, il emboîtait le pas de son camarade pour le suivre jusqu’à la cuisine qu’il découvrait. Il s’appuyait contre un mur et se souvenait de Roy qui avait déjà cuisiné pour lui. Puis qui était parti.

Les gens partent toujours. C’est comme ça.

Son souffle restait calme, bien que pendant une petite fraction de seconde, son regard avait semblé absent. Perdu ailleurs.
Docilement, il hochait la tête à la proposition en s’appuyant sur le plan de travail de ses avants bras.

- J’sais pas cuisiner.

Comme ça son camarade savait tout de suite qu’il ne serait pas d’une grande aide. Même des pâtes, il n’avait jamais fait. Ou quelque chose d’aussi bête qu’un œuf. C’était une calamité. L’attention de la prostituée se perdait sur les différentes épices. Il prenait un petit pot entre ses doigts pour lire le contenu de l’étiquette. C’était mignon les choses aussi petites. De toute façon il ne devait pas avoir honte de son manque de talent, mais tout de même. Sa crédibilité, déjà faible face à son clipote, chutait un peu plus.

- Tu sais pas faire des pancakes ?

C’était un truc qu’il aimait beaucoup, les pancakes. Se redressant, le jeune homme regardait aussi le contenu du frigo. Sans aucun but. Juste pour s’occuper. Alors il allait s’assoir sagement, non loin du bicolore pour découvrir ce qu’il allait faire et comment il fallait s’y prendre.

- On peut commander, si c’est trop dur.

L’élocution de Logan semblait s’améliorer en présence du jeune. En même temps, cet être humain n’était pas intrusif. Il laissait le temps au mannequin de découvrir, d’appréhender, de se renfermer aussi. C’était important de ne pas être brusqué. En tout cas s’il ne voulait pas subir un caillou à l’air renfrogné. Parce qu’il pouvait rester longtemps dans cet état. Et ici, en étant payé, ce n’était peut-être pas ce que Hater attendait de Logan. Bien que l’argent ne semblait être plus qu’une formalité.

L’un de ses pieds se balançait sous la table, son attention essayant de voir ce qui pourrait leur être utile.

- … Je dois t’aider ?

Parce que c’était lui qui avait faim à la base. Et si l’autre ne faisait que un burger et que comme il ne cuisinait pas, Logan n’aurait pas à manger ? Son estomac se serrait. Ses petits délires d’être affamé n’étant jamais bien loin de la pseudo rationalité qu’il portait au quotidien.

A l’affirmation de son aide, les yeux de la prostituée se plissaient légèrement. Sceptique à l’idée de toucher un quelconque ingrédient ou ustensile pour ensuite se nourrir. Les premières et dernières expériences avaient été catastrophiques pour le mannequin, à base de nourriture noire, de four fumant et d’odeurs particulières. Sans parler des textures. Dire que réitérer l’expérience ne le tentait pas du tout n’était pas vraiment exagérer. Néanmoins il suivait le mouvement, jusqu’à se retrouver avec un couteau, une planche et une tomate sous les yeux. Le blondinet observait l’ensemble un temps. Comme s’il appréhendait que le matériel ne lui saute dessus. Finalement, il prenait le couteau, se sentant particulièrement malhabile en cet instant.

Inspirant, il attrapait la forme ronde et rouge et commençait à la découper, dans l’espoir de faire de belles tranches régulières. Légère grimace sur le bout des lèvres, la tomate s’écrasait sous la lame, formant une soupe de jus sur toute la planche à découper. Mais il n’aimait pas vraiment l’humiliation le Logan, alors il se mettait un peu en biais, légèrement dos à Hater pour continuer son massacre sans se sentir observé. Son haut se retrouvait taché par une explosion de jus et de pépin. A la fin de sa première victime, quelques tranches difformes trônait mollement sur le morceau de bois. Il clignait lentement des yeux face à un tel échec. Ça ne ressemblait en rien à ce qu’il voyait dans ses hamburgers habituels. C’était pitoyable.

Un « oui » incertain, voire non assuré répondait à son client. Tous les aliments qui passaient entre ses doigts ressortaient avec une forme abstraite. Picasso serait fier. Mais il faisait au mieux de ses capacités. Le bout de ses doigts avait d’ailleurs été mordu par la pointe de sa lame. Celui-ci ne s’en était pas plaint.

Attendant que son… ami trouve la recette, Logan allait se laver les mains. L’état du plan de travail après son passage était relativement triste. Ou juste degueu. Ses iris se posaient sur le bicolore et sa position. Celle-ci, il l’utilisait souvent pour attirer ses clients à lui. C’était ça là aussi ? Maintenant qu’il savait pour son vrai travail il lui faisait signe ? Ou il aimait juste bien s’appuyer comme ça ? Jolies fesses.
Décoder les intentions n’était pas chose aisée pour le mannequin. Mais il essayait. Il n’était pas très doué, certes.

Quand ça explosait dans son visage, il était encore concentré sur ses questions. A tel point que ses yeux s’ouvraient aussi grand que sa bouche et un bug bien présent se lisait sur son visage, lui qui était si impassible.

- Quoi..?

Deux de ses doigts montaient sur son visage et il observait la farine qu’il arrivait à récupérer. Sans attendre, il plongeait sa main dans le bocal et lui en jetait aussi dessus.

- Comme tes ch’veux.

Les reparties pour jouer pouvaient être maladroites, mais il tentait. Comme son découpage d’ingrédients. Il se souvenait que la petite sœur de Noah aimait bien ça quand elle était encore là. Bien qu’il lui fallait une réflexion plus poussée pour ses actions, Logan attrapait un œuf et venait lui l’écraser sur l’épaule. Quelque part il était comme un enfant, prêt à se faire dire qu’il allait trop loin. Ou être encouragé. Son regard aussi clair qu’une mer sans algues se posait dans le sien.

- … Apparement ça hydrate.

Derrière, le beurre commençait à crier pour qu’on lui enlève ces deux morceaux de viande. Le blondinet avait reculé rapidement pour se protéger d’éventuelles représailles. La cuisine commençait déjà à subir leurs actions. Lui, il attrapait la tablette pour lire la suite. Les recettes lui semblaient interminables, mais ce n’était peut-être pas si désagréable.

- C’est quoi, des gousses ?

Le regard d’Hater avait failli lui faire comprendre qu’il avait fait une connerie, qu’il était allé trop loin. Mais au final c’était tout l’inverse. Celui-ci se mettait à l’attaquer de nouveau. Le torse de Logan se décalait pour éviter l’œuf qui s’écrasait contre le mur. L’angelot observait le cadavre couler lentement et misérablement le long du mur. Mince, c’était quand même un deuxième œuf de gâché.

L’américain allait se retourner pour ouvrir la bouche, mais le craquement significatif lui faisait écarquiller les yeux. Puis sa coulait lentement le long de ses mèches blondes. Il battait des paupières rapidement et se frottait rapidement les cheveux pour enlever ça.

- Eurk.

La texture était bizarre. S’il avait été moins coincé, il aurait sourit. Mais il ne souriait pas Logan. Il n’y arrivait pas. Ou il s’en empêchait. Il ne savait plus trop aujourd’hui. En tout cas ses expressions étaient verrouillées, bien enfouies, et la clé, elle, elle était perdue dans les méandres de ses souvenirs.

Ce qui était dommage, parce qu’en réalité Logan, il avait un sourire pour lequel on voudrait mourir.

En tout cas, priorité à la recette. Mais n’appréciant pas du tout la sensation sur sa tête, l’américain avait fini par enlevé son haut afin d’éponger ses mèches tout en lisant. Le geste avait été mécanique, irréfléchi. Sa maigreur était exposé mais il ne semblait pas être dérangé par cela. Son regard se reposait sur le bicolore sali et il plissait légèrement les yeux. Un très court instant.

- Hm. J’sais pas. Bah on met pas.

Il passait alors sans aucun remord à l’étape suivante. Finalement, ils arrivaient à terminer la recette. Sans demander son reste, Logan s’asseyait sur le comptoir et observait l’état de son t-shirt. Mentalement, il se disait qu’il allait devoir en racheter un. Parce que la lessive c’était pas son fort non plus. Y’avait pas grand chose qu’était son point fort pour être honnête. Tournant la tête vers Hater, il attendait sagement de nouvelles instructions.

- Je peux utiliser ta douche ?

Nouvelle étape franchie. Mais est-ce que ça comptait ? Il était vraiment degueux avec leur tentative de cuisine et cette petite bataille. En tout cas c’était mignon, même si la tête ne l’était pas spécialement. Un instant il réfléchissait : est-ce qu’il avait des miroirs ? Est-ce qu’il allait lui refuser la douche ? Il allait devoir se promener avec ça sur la tête ?

T’es mignon Logan. Un peu bête. Mais mignon.