Ketjil chevauchait à bride abattue. Le soleil n’était pas encore complètement levé, mais peu lui importait. Son jarl était dans un piteux état et son compagnon d’infortune n’était pas mieux. Leur temps était compté. Il leur fallait des soins, de toute urgence. Les sabots martèlent le pavé, écartant et bousculant sans pitié les trainards. Il s’arrête à peine pour demander une adresse à un garde en ronde. Par là. Parfait. Il repart tout aussi rapidement, manquant de tordre les pattes de sa monture sur le pavé glissant. L’homme a intérêt à être compétent. Arrivant en vue de la petite échoppe, il saute de sa monture à peine arrêtée et tambourine à l’huis avec impatience. L’homme a intérêt à sauter dans ses braies, parce que le Viking est vraiment pressé. La porte finit par s’ouvrir sur un frêle gabarit.

- Vous êtes médecin messer ? – Ketjil ne lui laisse pas le temps de répondre, il enchaine – J’ai besoin de simples et d’onguents pour les blessures, les plaies qui saignent beaucoup, des brûlures, des écorchures, et contre la douleur aussi.

Il parle à toute vitesse, pressé par le temps. Chaque minute loin de son jarl est une minute où le jarl est danger. Il n’a pas encore traqué les traitres responsables de la capture et de la torture du jarl. Trahison qui l’a mené à passer plusieurs jours au fond d’un cachot humide, aux mains de son pire ennemi. Il ne l’a récupéré qu’au milieu de la nuit et dans quel état … Même s’il donnerait sa vie aux deux hommes qu’il a laissé en faction devant la porte de la chambre du jarl, il ne sera tranquille qu’une fois de retour à son chevet. Son cœur tambourine dans sa poitrine. Il n’a pas l’habitude du sentiment de panique qui l’envahit. L’homme devant lui semble perdu. Ou effrayé. Il grogne, bourru.

- Prenez tout, vous allez v’nir avec moi. Mon Jarl a de l’argent, il vous paiera grassement. Magnez-vous l'fessier !

Non … Décidément, Ketjil n’est jamais comme ça d’habitude. La situation est vraiment grave. Il laisse à peine le temps à l’homme de préparer ses affaires qu’il grimpe en selle et le hisse à sa suite.

- Cramponnez-vous à moi.

Prévenant mine de rien… il ne va pas laisser le médecin tomber et se rompre la nuque sur le pavé. Assurant sa prise sur les mains autour de sa taille, il lance sa monture au galop, chemin inverse, direction la place forte d’Irwaen Hakkonson.
Les lueurs de l’aube se faisant de plus en plus présentes, le cheval parvient miraculeusement à ne pas se tordre une jambe, et parvient, ahanant et renâclant aux portes de la place forte. Abandonnant la bête, il fait descendre le médecin.

- Vite. Dépêchez-vous.

Il reste poli, mais l’urgence se lit sur son visage. Dans sa voix. Il l’entraine dans les couloirs, à très grandes enjambées. L’homme est presque obligé de courir pour le suivre. Chaque visage qu’ils croisent est fermé, la tension est palpable. Ils arrivent finalement devant une porte, gardée par deux hommes armés jusqu’aux dents, visiblement à cran. Ils échangent quelques mots dans une langue que le médecin ne peut comprendre, leur langue, puis la porte s’ouvre sur une chambre.
Elle est grande, sans être immense. Un grand lit occupe un côté, une cheminée à l’opposée. Un bureau, une chaise, un coffre, une armoire. Quelques tentures pour garder la chaleur. Rien de bien ornementé, ça reste quelque chose de pratique, pas d’apparat.
Sur le lit, deux corps, à peine conscients, collés l’un à l’autre.

- Messer, le médecin, annonce Ketjil.

Le Messer en question redresse la tête. Dans la pièce mal éclairée par les torches et les candélabres, il roule des yeux fous. Ses émeraudes se fixent sur ledit médecin et quelque chose dans son attitude semble prêt à bondir. Une montagne de muscle, fortement abimée, certes, ramassée au-dessus de l’autre silhouette. Ses mèches blondes sont en bataille, il a des traces de coups sur le visage, sur le corps aussi, une épaule qui semble vraiment en vrac et de multiples plaies et zones brulées. Mais le pire, ça reste son dos, invisible pour l’instant au médecin. Il prend le temps de détailler le médecin, longuement, avant de gronder. Sa voix est cassée, surement d’avoir trop crié, rauque, mais compréhensible.

- Occupez-vous de lui. Si vous lui faites quoi que ce soit de déplacé … par Odin je vous tuerai …

L’homme de main lance un regard réprobateur à son Jarl. Visiblement, il préfèrerait que ce soit lui qui soit examiné en premier … mais le maître des lieux en a décidé autrement et tout dans son attitude semble montrer qu’il vaut mieux ne pas le contrarier… même dans cet état. Les représailles seraient terribles.

Ce qui s’était passé et qui les avait conduit dans cette situation ? C’était long, compliqué, trop, et surtout ça ne regardait personne d’autre que les personnes qui avaient été présentes. Et pire encore ça ne regardait que lui, et celui contre qui il était dans ce lit, profitant de la chaleur de ses bras sur son corps qui lui paraissait glacé, tremblant légèrement, malgré la fièvre qui le dévorait. Une quinte de toux plus ou moins violente se faisait entendre de temps en temps, accordé à sa respiration sifflante, audible pour quiconque d’assez près. Son corps était pourtant moins amoché que celui du viking maître des lieux, même si le sang séché et la position empêchait pour l’instant de voir les trous sur ses bras, les plaies largement ouvertes sur ses hanches et ses cuisses bien que cautérisées ou les reins déchiquetés, mais la maladie qui atteignait ses poumons le laissait bien trop affaiblit à son goût. 

Et s’il n’avait pas d’inquiétude à être contre Irwaen, ni dans cette pièce parce qu’il savait la porte gardée et surtout son chien à trois têtes qui empêcheraient quiconque d’entrer sans invitation ou de les emmener encore, la simple mention du mot de médecin le fait se redresser d’un bon, le corps tendu au possible, un grondement sourd sortant de sa poitrine et qui s’aggrave encore quand il s’approche pour l’examiner sur ordre du viking. Il se recule aussitôt, enfin il a un geste de recule retenu par la prise de son compagnon d’infortune mais il est clair que le grisé n’est absolument pas d’accord à l’idée de laisser qui que ce soit l’approcher et encore moins le toucher. La raison n’est claire que pour eux mais il ressemble à une bête blessée et farouche, ne donnant sans doute pas envie de venir plus près sous peine de sévères retombées. 

Il n’a en revanche aucun problème à se faire toucher par l’homme à côté de lui, son regard fixé sur le médecin malgré les paroles rassurantes à son oreille. Et il faut la persuasion du blond pour lui faire détourner les yeux vers lui, mais même là il garde l’inconnu dans son champ de vision, prêt à bondir s’il s’approchait d’un centimètre. Après est ce que ce serait bondir pour fuir ou pour attaquer… 

Les mots ne s’adressent qu’à une seule personne

Il hoche lentement la tête. Bien sûr qu’il avait confiance en lui sinon il ne serait pas aussi vulnérable contre lui. Il ne se détend pas vraiment à ses paroles même s’il n’a aucun doute sur la véracité de ses dires ni sur les désirs protecteurs du viking envers lui. Il finit par reposer son regard sur le médecin, l’autorisant implicitement à s’approcher mais le grondement au bord des lèvres, le corps tendu à l’extrême, la méfiance transpirant de son corps au même niveau que la maladie, la main d’Irwaen dans la sienne.