Edward Stent

Toujours plongé dans ses bouquins, Henry relève son nez pour prendre une gorgée de thé. Sa tasse est vide et à cette heure sacrée, il se dirige vers la pièce où ses collègues de travail peuvent prendre leur repas. Son entraineur de boxe va encore le sermonner comme quoi il ne mange pas assez, que les diners congelés au micro-ondes ne sont pas santé. Il le sait lui-même, psychiatre de profession. Tout le monde l’oblige à faire attention, il compense avec le sport. Son temps est précieux pour ses patients, tant qu’il ne se rend pas malade. Que du café, aucune petite poche de thé à l’horizon. Fronçant les sourcils, personne non plus pour aller en acheter. En regardant l’heure sur sa montre, il a largement le temps d’un aller-retour à pied jusqu’à sa prochaine consultation. Son manteau sur le dos ainsi que son livre sous le bras, il barre la porte afin de se diriger vers son café préféré. Pour un mardi en fin d’après-midi, ça ne devrait pas être trop achalandé malgré les cours de l’université. Il pourra lire quelques pages de sa psychologie carcérale, pour faire changement de son passé et du présent. Un roman de Jussi Adler-Olsen qu’on lui a recommandé, plutôt pas mal pour l’instant avec ses six cents feuilles.  

La clochette qui sonne, Henry zyeute les alentours pour voir si sa place est libre, un sourire qui se dessine. Habituellement il y vient le soir, après sa séance de sport. Aujourd'hui il en fait une exception, puisque le thé est obligatoire dans son cerveau de Britannique. Bref, il commande son Earl Grey et lorsqu’il vient pour prendre la tasse, la sonnerie de son téléphone l’interpelle. Elle est différente du son normal, ce qui l’oblige à prendre l’appel et comme un idiot, il fait chavirer le liquide chaud sur une partie de sa main, l’autre récupéré de justesse par le serveur. Les excuses se feront plus tard, maintenant il passe pour un connard qui ne pense qu’à son téléphone. Entre temps il échappe son bouquin au sol pour trouver un espace clos, mettre ladite main sous l’eau froide. Dans l’immédiat il ne voit que la salle de bain, n’importe qui pourrait l’entendre d’autant plus qu’il doit être précis avec ce qu’il vient d’entendre d’Erik.  

-Je peux plus...respirer.  

-Okay tu vas suivre ma voix. Tu vois un endroit où tu peux être en sécurité? Vas-y et tu vas t’assoir. Retire ton écharpe. Tu as tes anxiolytiques sur toi?  

-Non. Je suis assis là.  

-Très bien on fera sans. Inspire par le nez et expire par la bouche, l’air va mieux entrer. Tu peux fixer une image, un symbole?

-Oui, il y un mur de...briques.  

Le cerveau va exploser tellement ça roule à une vitesse énorme. Henry ouvre le robinet en espérant ne pas faire trop de bruit tout en se concentrant sur la respiration d’Erik qui semble mieux. Sa peau chauffe et se gèle en quelques secondes.

-Dernière chose. Tu vas compter en décroissance à partir de cinquante. On le fait ensemble, à voix haute, okay?

À peine rendus au chiffre quarante-trois, il a retrouvé ses esprits. Ça peut paraitre stupide, sauf que ça fonctionne à tous les coups. Le psychiatre lui demande de passer au bureau dans trente minutes, un refus catégorique pour un entrainement de hockey. Bon, il va rester tard ce soir alors pour savoir la raison de sa crise de panique. Henry retire sa main de l’eau, voyant un homme proche de lui.  

-Désolé pour la tasse, c’était un appel d’urgence je n’ai pas eu le choix. Vous êtes là depuis longtemps?  

Ou surtout, est-ce que vous avez tout entendu?  

Codage par Libella sur Graphiorum

Edward Stent

Trop concentré sur le patient, à peine sur sa blessure, Henry ne parlait pas trop fort mais assez pour que quelqu’un entende sa voix, pas celle qui l’appelait. L'angoisse prenait place mais pas au niveau égal. Si Erik l’a appelé, il lui devait de se focaliser sur son patient. Égoïste envers lui-même, le psychiatre les fait passer avant ses propres problèmes. Il lui faudrait un os cassé pour ne pas répondre à ce fichu téléphone, comme quoi une brûlure au premier degré est le cadet de ses soucis. Ne pouvant expliquer la raison de sa crise, Henry l’outillait comme il pouvait, rassemblant ses connaissances et ses épreuves du passé. Il en faisait beaucoup dans sa jeunesse, entre autres en primaire et au lycée, lorsqu’on le prenait pour le petit intello de la classe. La tête dans les bouquins, on lui arrachait des mains pour le lancer au sol, ses lunettes souvent brisées qu’il réparait seul à la maison. Les parents travaillaient tard même les fins de semaine, Henry a appris à se gérer assez rapidement. Ses devoirs terminés avant de réchauffer son diner, il avait le droit de choisir un livre dans la bibliothèque de son père et de regarder la télé une heure – ce qui arrivait rarement. Analyser les gens, comprendre et la lecture étaient ses loisirs préférés. Ce qui est toujours le cas aujourd’hui.  

En mettant son téléphone dans sa poche de pantalon, les mains déposées sur le comptoir, il souffle afin de libérer son anxiété. Une grimace tout de même, vérifiant la douleur. Ce n’est pas si important, sauf qu’il faut la traiter et elle pourrait s’infecter le temps de retourner à son lieu de travail. En se grattant la nuque de sa main libre, il ne peut qu’accepter et rire nerveusement à ses paroles. N'ayant pas répondu à sa question, c’est qu’il en a entendu au moins une bonne partie. Il n’a pas souvenir d’avoir mentionné son prénom étant dans un endroit public, ça ne devrait pas poser problème.  

-J’avoue que ça porte à confusion. Très bien, je suis venu à pied donc la trousse de secours est un peu loin dans mon bureau ou à domicile. J’ai seulement une requête, ce serait de ne pas ébruiter la raison de l’appel. Je ne sais pas si vous connaissez les crises de panique? Je suis psychiatre donc gérer ces situations demande de la précision, surtout si c’est sa première fois. Normalement personne n’aurait entendu cette conversation mais voilà, on ne choisit pas ces moments. Si vous avez des questions je peux y répondre.

En réalité ça lui ferait plaisir pour changer ses idées. Dans le cas contraire, il y aurait une certaine tension dans l’air puisqu’il peut lui-même faire sa pommade pour une brûlure. Il évitera de critiquer sa manière de le traiter, perdant légèrement le contrôle de son environnement. D'un pas en avant, ils se retrouvent près sans trop de gêne, croyant qu’il allait bouger en même temps. Il sourit en coin tout en replaçant ses lunettes.  

-Je vous suis. Au fait je m’appelle Henry.  

Codage par Libella sur Graphiorum