Tout avait commencé un matin quand il s'était réveillé avec une vision un peu floue. Il ne s'en était pas inquiété, il l'avait d'ailleurs à peine remarqué ce n'était rien d'exceptionnel. Un peu de mal à voir pendant quelques minutes, il suffisait qu'il ait eu une petite poussière dans l'oeil ou quoi et voilà tout. Il avait nettoyé l'oeil en question et sa vue était redevenue normale alors pas de quoi s'inquiéter. Et puis deux semaines après c'était revenu un autre matin. Là non plus il ne l'avait pas particulièrement noté, parce que c'est accessoire et ça disparait en quelques instants. C'était quelque chose qui l'avait toujours angoissé, l'idée d'avoir un problème à l'oeil après avoir perdu le premier parce qu'il ne voulait pas, il ne pouvait pas se retrouver aveugle, certainement pas avec son métier. Mais là il s'était vite rassuré, si c'était quelque chose de grave ça ne partirait pas avec un peu de sérum phy.

Sauf que ça avait continué. Toujours seulement le matin au réveil mais la fois suivante une semaine après, puis 4 jours... Et puis finalement c'était tous les jours qu'il se réveillait avec cette vision trouble et qu'il avait apprit à faire avec pendant les premières minutes d'éveil. Et chaque jour ça durait un peu plus longtemps même s'il se refusait de le remarquer, il ne faisait pas attention c'était juste normal, pas de quoi s'inquiéter. Le déni total mais il apprenait à se repérer, réussissant à se déplacer dans son logement sans se cogner après quelques jours donc ça compensait. 

Lentement mais surement, le problème avait continué à s'étendre pendant quelques semaines. La vision trouble ne s'estompait quasiment plu, elle l'accompagnait toute la journée, plus ou moins prononcée mais toujours moins là. Et s'il pouvait continuer de faire la plupart de ses consultations, il avait du céder la place à son collègue pour toutes les chirurgies prétextant un problème sur une main. Tout pour ne pas reconnaître qu'il avait un problème de vue, la simple idée le terrifiait et il refusait d'y penser une seule seconde. La lumière le gênait de plus en plus aussi, il portait des lunettes dès qu'il mettait le nez dehors et évitait de mettre les lampes dans la clinique car il voyait encore moins dans ce cas et ça lui faisait mal. Et puis la douleur avait fini par arriver. Pas que à la lumière mais de façon imprévue. D'un seul coup une douleur vive comme si on lui enfonçait quelque chose dans l'oeil. Lentement mais surement, le tout se dégradait un peu plus chaque jour.

Il avait changé ses habitudes de vie aussi. Il se faisait livrer beaucoup de ses courses, il sortait moins avec ses chiens ou tout court d'ailleurs et se déplaçait plus difficilement dans la rue. Il travaillait de moins en moins aussi, quitte à laisser la clinique fermée quelques après midi, tout en refusant d'admettre ce qui lui arrivait. Et puis finalement il avait bien du sortir aujourd'hui, il avait travaillé un peu difficilement à la clinique toute la matinée, seulement de la gestion de paperasse, et rentrait à présent chez lui pour retrouver un lieu qu'il connaissait. Il avançait lentement sur le trottoir, forçant sa vue pour essayer de voir ce qu'il se passait et ne pas se cogner dans tout et n'importe quoi. Sauf que ce n'était plus suffisant et il finit par sentir un choc assez violent contre lui, comprenant au son qu'il avait heurté quelqu'un d'autre. 

Il ne voit pas qui sait, juste du flou qu'il ne reconnait pas mais ne s'attarde pas trop, il veut simplement rentrer pour avoir l'impression que les choses étaient plus normales qu'elles ne l'étaient.

Perdu oui, complètement. Plus le temps passait et moins il avait la notion de l'endroit où il était, de ce qu'il se passait autour de lui. Son corps d'ailleurs en portait bien les marques. Il avait des bleus un peu partout de ses nombreuses collisions avec des obstacles pas toujours identifiés, et des plaies et autres égratignures sur les mains et les genoux. Mais malgré tout cela, malgré les signes qui se faisaient un peu plus présents chaque jour ou presque, le véto refusait de voir qu'il y avait quoi que ce soit qui n'allait pas chez lui. Il se répétait que ça allait passer, que c'était juste passager rien de plus.

Et c'est pour ça qu'il se retrouvait dans la rue, beaucoup trop bondée pour son handicap, a essayé de se frayer un chemin pour pouvoir rentrer chez lui dans la sécurité relatif de son loft, en espérant que rien ne se passe de grave et surtout qu'il ne croiserait personne qu'il connaissait. Il ne sortait plus, il n'allait pas voir les gens parce qu'il ne voulait pas qu'on lui dise que rien n'allait en fait. Le déni le plus total et il se mettait dans un environnement qui lui permettait de le maintenir.

Mais ce qui devait arriver arriva, et il se sentit entrer en collision avec quelque chose ou quelqu'un. Quelqu'un vu le son et heureusement il n'entend pas le bruit caractéristique d'une chute il aurait été bien embêté si ça avait été le cas... Quelques mots d'excuses soufflés avant qu'il ne cherche son chemin pour repartir, un écart pour s'assurer d'éviter de rentrer à nouveau dans la personne. Mais une voix l'interrompt dans sa démarche, le laissant figer sur place et froncer les sourcils. La voix est reconnue sans effort et il se mord la lèvre à la simple idée. Pourquoi il fallait qu'il tombe sur lui ? Il ne l'avait pas vu depuis un moment c'était vrai, mais ils avaient partagés des choses ensemble et il savait que si quelqu'un pouvait voir que quelque chose n'allait pas chez lui il en ferait partit. Forçant un sourire sur son visage, le blond secoua la tête, essayant de maintenir une vieille illusion de naturel.

Il aurait bien dis qu'il aimerait le voir plus souvent. C'était vrai après tout mais il ne pouvait pas, il n'en était plus capable pour l'instant. La question qui vient après le fait se tendre, se mordant la lèvre avec force. C'était donc si visible...

Petit sourire crispé mais qu'il espère quand même un peu rassurant. Non tout allait bien, ça allait bien se passer. 

Prétention un peu plus absurde que tout était normal. Et si sa vision flou lui permet d'identifier où se trouvait la silhouette devant lui et ou se trouvait le mur, elle ne lui permet pas de voir le poteau qui se trouve sur le trottoir juste à côté et vers lequel il avance sans s'en rendre compte. 

Evidemment il ne se rend compte de rien. Le peu qu'il voit est trop flou pour lui permettre de voir quelque chose d'aussi fin qu'un poteau sur sa route. Il ne voit pas plus les mouvements de Hater, en même temps il ne cherchait pas à suivre ce qu'il faisait, c'était déjà assez compliqué de réussir à marcher sans rien heurter, il ne pouvait pas en plus e suivre du regard... Mais lui visiblement l'avait suivi et heureusement pour le blond. Il sent avec surprise la main sur son front, mais surtout le choc qui vient derrière, heureusement pour lui bien amortit. Il se fige, les dents serrés, honteux de ce qu'il venait de se passer, sans compter qu'il pouvait difficilement prétendre encore que ça allait.

Sa voix se coupe quand il sent la pression sur ses épaules qui le fait se tourner vers la source de la voix. Il essaie de forcer sur sa vue pour venir croiser le regard du bicolore mais sans grand succès, il le sent et il sait que son vis à vis le voit bien.

Il essaie de passer à côté, d'ignorer le problème, même s'il se doute qu'il ne s'en tirera pas aussi facilement avec Hater. Instinctivement, il incline légèrement sa tête pour profiter de la caresse, tactile qu'il était avant de se figer en se redressant et en reculant d'un pas à ses paroles, comme dans un vain espoir de fuir ce qu'il venait de dire.

N'importe quoi. C'était idiot de sa part de continuer à affirmer ça, de continuer à essayer de maintenir de faux semblants qui ne trompaient personne et surtout le jeune qui lui faisait face. Mais il ne pouvait pas, il ne voulait pas admettre qu'il y avait bel et bien un problème avec ses yeux. Il ne pouvait pas supporter l'idée que son monde devenait petit à petit de plus en plus noir et qu'il ne pourrait bientôt plus rien faire sans assistance... Enfin en vrai il en était déjà à ce stade. Si ses vêtements le cachait plutôt bien, il avait de nombreux bleus et de nombreuses égratignures sur tout le corps, notamment les mains et les genoux, à force de se cogner et de trébucher un peu partout. Il se mord la lèvre à ses paroles, au fond de lui il avait envie de se confier, de parler à quelqu'un de ce qu'il se passait et...oui d'avoir du soutien parce que c'était infernal cette sensation pour lui. Mais une autre part plus important de lui ne voulait pas en entendre parler et caressait encore le vain espoir que le tout ne soit que passager et que cela allait s'améliorer tout seul avec le temps. 

Il n'y a pas vraiment de conviction dans sa voix, plutôt l'espoir futile que ce qu'il dise se réalise finalement même si chaque jour qui passait rendait le tout de plus en plus improbable. 

Vaine tentative sans doute là aussi de changer de sujet de conversation, même si la réponse l'intéressait réellement. Il se demandait souvent ce que le plus jeune devenait, même s'il doutait d'avoir sa réponse maintenant alors qu'il essayait de fuir son interrogation, mais là encore il pouvait essayer, tenter d'avoir encore un semblant de normalité.

Il savait que son attitude était complètement idiote, déjà pour lui mais en plus il pensait quand même connaître suffisamment Hater pour savoir que ce n’était pas avec des mots que lui-même ne croyait pas qu’il allait pouvoir le persuader. Il se mord légèrement la lèvre en entendant sa riposte, se sentant presque mal de cette histoire qu’il essayait de lui vendre sans pour autant vouloir se l’avouer, et encore moins reconnaître à voix haute qu’il avait effectivement un problème. Il serre plus fort sa lèvre de ses dents quand il poursuit, se mordant presque à sang tant ce qu’il entendait lui faisait mal. Pas parce que c’était vrai mais parce que ça lui rappelait ce qu’il avait perdu ces derniers temps.

Il souffle à peine quelques mots tant c’était douloureux à sortir de sa gorge. C’était ce qu’il avait le plus de mal à accepter, le fait de ne plus pouvoir pratiquer ce métier qui le passionnait tant. Il aurait tellement aimé pouvoir continuer, mais s’il aimait son métier, il aimait encore plus les animaux qu’il avait fait le serment de soigner et c’était bien pour cela qu’il n’avait pas pu se résoudre à continuer à prendre des consultations, il savait bien qu’il était trop dangereux, sans jamais admettre qu’il avait un réel problème, dans son esprit ce n’était toujours que passager. Parce qu’il y avait toujours un espoir que si on se répète assez quelque chose, si on y croit assez fort, cela finisse par devenir la réalité. 

Le regarder dans les yeux… C’était aussi douloureux à entendre, c’était quelque chose qu’il lui était tellement facile de faire il y a encore peu mais aujourd’hui malgré tous ces efforts, il n’en était plus capable. Il serre sa main quand il prend sa sienne, avec une certaine force sans pour autant de quoi lui faire mal. 

Il se tait sous les caresses, son visage s’inclinant légèrement pour les sentir, réflexe. Il ne voulait pas croire que c’était quelque chose de grave, qu’il fallait traiter et surtout qui risquait d’être irréversible c’était ça le pire. La simple idée qu’il pourrait passer le reste de sa vie dans le noir le terrifiait, mais il savait aussi que son ancien amant avait raison. Tôt était toujours mieux, c’est ce qu’il passait son temps à répéter aux propriétaires des animaux qu’il suivait même si au final lui était incapable de l’appliquer à sa situation personnelle. 

Il ne savait même pas quoi répondre. Il savait qu’il avait totalement raison et ce n’était même pas égoïste de sa part, c’était lui qui avait raison et qui en plus prenait de son temps pour essayer de l’aider et de lui trouver une solution. Il finit par s’approcher un peu plus du bicolore, laissant presque aller son corps contre lui dans une recherche de réconfort, complètement perdu par ce qu’il se passait. C’était lâche il le savait, de compter sur quelqu’un qui était beaucoup plus jeune que lui pour l’aider, mais il en avait besoin présentement. Juste savoir qu’il n’était pas seul.

Désolé d’empiéter ainsi sur sa vie sans doute, il ne devrait pas faire ce genre de choses. Mais il reste comme ça quelques secondes avant de finalement se redresser, les yeux baissés vers le sol.

Il n’a pour autant pas lâcher sa main pour l’instant, presque inconsciemment, le remerciement au bord des lèvres mais encore trop fragile pour qu’il puisse sortir facilement. 

C'était compliqué à admettre, plus que tout pour lui et dans le fond de son esprit il n'était même pas sûr de savoir encore s'il finissait par admettre qu'il avait un problème ou s'il avait finit par prononcer ses paroles simplement pour satisfaire son ancien amant auquel il tenait encore. Mais c'était sans doute un début et il n'en serait pas là sans lui, un peu apaisé de sentir qu'il n'était pour l'instant pas seul face à ce qui lui arrivait. 

Il s'apaisait un peu au contact de ses doigts sur sa peau, sentant sa chaleur, profitant de chaque contact. Il avait toujours été tactile le blond, et Hater était loin d'être un inconnu donc son contact avait quelque chose de particulier qu'il ne retrouvait pas facilement mais dont il profitait. Cela l'aidait à eclaircir ces idées, à comprendre un peu mieux les choses et surtout à accepter ce qu'il se passait.

Il l'avait croisé par hasard, sans sa présence le bicolore serait sans doute en train de faire des choses beaucoup plus intéressante que d'aider quelqu'un de plus âgé que lui a gérer des problèmes dont il aurait du pouvoir se débrouiller tout seul. Il sourit faiblement, autant à son petit rire qu'aux paroles qui suivent, se rendant compte que sa répartie lui manquait sans doute en quelque sorte.

Plus importantes que de jouer le baby sitter avec lui en tout cas. Malgré tout il se laisse prendre par le bras avant de suivre son mouvement, mettant un moment avant de se rendre compte de la direction, encore désorienté autant par la conversation que ce qui s'était passé juste avant et qui lui avait fait perdre ses repères. Mais il se laisse sagement entraîner, confiant dans celui qui lui tenait le bras, restant détendu par son contact et ses caresses, son visage se renfrognant aussitôt qu'il mentionne son travail.

Il a un faible sourire sur ces dernières paroles mais tout plongé qu'il est dans sa situation pro, il a du mal à profiter pleinement de la blague cette fois.

Il soupire sans trop savoir quoi ajouter. C'était clairement le plus terrible pour lui, encore plus que de se retrouver de façon permanente dans le noir, ne plus pouvoir exercer son métier était un drame à son sens même s'il ne savait pas comment l'expliquer. Il serre un peu sa prise sur lui, soulagé malgré tout d'avoir quelqu'un à ses côtés. Il avait beau être adulte, c'était toujours difficile d'affronter ce genre de situation en étant complètement seul, et Hater était la seule personne à laquelle il avait pu se confier jusque là. Bien qu'il soit sur l'île depuis un petit temps maintenant, on ne pouvait pas dire qu'il avait vraiment d'amis par ici, donc il n'en avait rien dit avant aujourd'hui et il se sentait malgré tout un peu soulagé d'avoir pu parler. Tout prit à ses pensées, il ne remarque pas de suite malgré l'arrêt des pas qu'ils sont arrivés devant chez lui, du moins pas avant que son accompagnant ne le lui fasse remarquer. Aussitôt le blond sortit un peu maladroitement ses clés de sa poche avant de tâtonner un peu jusqu'à pouvoir ouvrir correctement la serrure.

Même un peu plus sans doute maintenant. Et effectivement aussitôt la porte ouverte, les boules de poils se précipitent vers eux, reconnaissant sans mal celui qui accompagnait leur maître et venant le saluer avec grand plaisir. Amaury referma la porte derrière eux, mordillant une lèvre déjà bien abimée par ce tic qu'il avait attrapé depuis le début de son problème, sans avoir lâché le bras de son ami. 

Non pas qu'il cherche à gagner du temps, enfin peut être un peu parce que dans sa condition, il ne pouvait même pas prendre ce rendez vous tout seul, incapable de chercher le numéro sur internet ou même de le composer et il ne se voyait pas le dire, reconnaître à voix haute à quel point son état était handicapant. Et puis aussi il avait envie malgré tout de passer un peu de temps, un peu plus que le simple temps de la prise du rendez vous avec Hater, alors il essayait de gagner quelques instants, sa main libre glissant des les poils long du chien loup venu se caler contre sa jambe.