Danny Martel

Bientôt une semaine s’est écoulée depuis l’incident au bistro, aucun flic n’est venu m’arrêter, mais je reste tout de même sur mes gardes. Ce n’est pas comme si j’avais mon lot de problèmes ces temps-ci. Assis à la deuxième rangée de l’amphithéâtre, mon stylo tourne autour de mes doigts en écoutant l’enseignant. Enfin, un peu perdu dans ma bulle, mes yeux sont dans le vide à réfléchir, ce que je vais faire de mon vendredi soir. Mes révisions prennent du retard à cause de mes autres occupations et je ne peux pas annuler mes rendez-vous chez le psychiatre. Les mecs de hockey vont probablement sortir dans un bar, d’autres amis ailleurs ou simplement disparaitre encore une fois. Il n’y aura que moi, perdu dans l’espace-temps, seul dans l’équation. De toute façon je n’aurai pas envie de sortir. Manger à mon appartement, étudier quelques heures en plus de remettre mes papiers en ordre, défoncer des morveux aux jeux vidéo. Gros programme.

Je me remets droit sur la chaise, ma colonne vertébrale en a assez bavé cette semaine aux deux entrainements de hockey à ne rien laisser paraitre. Patiner sans trainer de la patte, je m’en grinçais les dents avec la coulisse de salive, cachée sous mon casque. Sans oublier les vestiaires, quelques coupures sur mon avant-bras gauche, je n’allais quand même pas dire que je suis tombé dans les escaliers. Bref, quoi de plus pénible qu’une compétition demain. Ça va le faire, j’irai prendre un bain froid le soir venu pour calmer mes douleurs. Frottant mes sourcils, le prof nous engueule pour le mauvais travail rendu la semaine dernière. Ce n’est pas mon problème si leur petit cerveau de gosse de riche ne saisisse pas le fonctionnement d’une entreprise. Une fiction de compagnie se veut d’être réelle, ou l’élève aura une note en conséquence. Non mais franchement j’ai mis des jours à rendre un devoir complet et on doit le refaire du début à la fin. Bande d’imbéciles comme si on avait que ça à foutre.

-Cette fois vous serez en équipe de deux et je veux le rapport sur mon bureau vendredi prochain, en entier. J'espère que vous vous creuserez mieux les méninges. Erik, tu seras avec le nouveau.

Ah. Je lève la main par simple politesse.

-Je peux savoir pourquoi c’est toujours moi qui suis pris avec un nouveau?

-Parce que tu es le seul attentif dans mes cours, qui a toujours de bonnes notes et le meilleur pour expliquer les sujets. Satisfait?

D'une réalité, je ne peux pas nier et il sait comment va réagir mon ego. Je claque les mâchoires, le regard dans le sien et par son statut, je hoche la tête. Je me retourne pour m’asseoir sur le dessus de la table, observant où le nouveau peut bien se trouver. Ma tête s’arrête sur un visage familier, quoique, on s’entend, je ne m’attendais pas à le revoir de sitôt. Un joli sourire, je lui fais signe de s’en venir. Il ne va pas croire que c’est moi qui vais se déplacer.

-Comme on se retrouve. Tes côtes se portent bien?

Codage par Libella sur Graphiorum

Le soucis avec le fait de jouer aux cancres, était qu’on finissait par sérieusement s’emmerder au moment de suivre les cours. Il fallait donc tromper l’ennui et se trouver quelque chose à faire et là.. Danny était retombé en enfance. Il avait commencé par les caricatures de profs, puis les mots croisés en passant par les piles de stylos et les paris sur les tics de langages qui ressortiraient le plus. Certains enseignants lui donnaient d’ailleurs l’impression d’être passé à côté de sérieux jeux à boire.

Mais quand venait la fin de la journée, quand tout ce qu’il avait trouvé à faire était de se distraire du spectacle qui se jouait devant lui, au bout de quelques semaines, Danny s’était finalement décidé à écouter d’une oreille distraite. S’instruire ne le révoltait pas même s’il y avait peu de chances en soit que cette matière lui soit un jour d’une quelconque utilité. A quoi ressemblerait sa vie après ? Il n’en savait rien mais certainement pas à ça.

S’agissant des résultats, il ne comptait pas faire mieux, ne visait pas au-dessus que vaguement la moyenne et cela se ressentait dans ses résultats. Seule différence, maintenant au lieu de répondre au pif, il se… sabotait, repérant plusieurs questions pour volontairement se placer ne hors sujet et ainsi être noté sur moins de points et au moins évaluer un peu ses compétences. Et.. Ce n’était pas si sorcier en fin de compte. Rodrik devait vraiment être un abrutit.

Sauf que Danny n’était pas le seul à avoir échoué ils étaient visiblement beaucoup dans ce cas et il dû retenir un sourire. Rodrick était un symptôme courant visiblement. Lui avait une excuse mais quelle était la leur ? Trop occupés pour bosser les cours que papa et maman finançaient ? Ce n’était pas le mettre en groupe qui allait le faire travailler plus fort, le livreur ayant un quotas de médiocrité à respecter.

« Attend… Ce serait pas ? »

Que le monde était petit. Il ne l’avait pas reconnu ou n’avait pas fait attention mais le nom et la voix permettaient de coller les pièces du puzzle ensemble. Le dos encore vissé sur le dossier, il était vrai que Danny éprouvait encore quelques difficultés lorsqu’il s’agissait de se tenir droit. Sans rancune, ou peut-être un peu quand même. Mais est-ce que le prof ne venait pas de les mettre dans le même groupe ? N’était-ce pas ce qu’on appelait une très bonne opportunité ? Il esquissa un sourire à son tour, agissant sa main en retour comme si l’américain lui faisait « coucou » et qu’il lui rendait la politesse.

« Hey Erik. Ca va mieux, merci de t’inquiéter. Et toi avec ton copain, toujours en froid ? »

Oh, il avait bien compris qu’il lui demandait de le rejoindre mais comme il ne l’avait pas spécifiquement demandé à voix haute, il se permettait bien sur de jouer aux cons.

Danny Martel

Ma patience commence déjà à se faire la malle avec mon faux sourire. Qu'il amène son cul sur le banc à côté du mien, sinon je vais aller le chercher et pour un début, c’est très mal parti quand quelques têtes se tournent vers moi. Cette phrase il aurait pu la retenir en étant plus près, inaudible aux autres qui sont des nids à commères. Je finis tout de même par déglutir, ce supposé copain qui n’en a jamais été un au final. Merde pourquoi je réfléchis à une potentielle relation amoureuse avec un mec qui est déjà vouée à l’échec, puisqu’il est avec quelqu’un. Et ce quelqu’un est une personne bien mieux que moi. Mes pensées s’embrouillent dans des maux de tête. Génial. Comme ce n’était pas assez spécifique et que les imbéciles demandent toujours une explication, je lâche un soupir exagéré.

-Pas du tout, les problèmes entre amis finissent toujours par s’arranger tu vois. Tu veux bien venir ici que je t’explique le projet que tu as sans doute merdé?

Je me retourne quant aux autres étudiants, les chuchotages sont partis de bon train. Si l’impression de se lancer la balle pendant la prochaine heure est vive comme la braise, il sera servi. À même titre que je le plongerai avec moi s’il le faut. Avec ma grande gueule, ce sera facile lui faire avouer qu’il me matte depuis le commencement de notre altercation. Sexualité refoulée, ce sera la sienne, pas la mienne. D'ailleurs je n’ai pas eu le temps de vérifier le contenu de son téléphone, il est encore dans le bol de riz avec tout ce vin valsé dessus et dedans. Je ne sais pas si on peut invoquer le coup du destin, sauf que cette rencontre restera mémorable s’il a une bonne répartie. Qui es-tu Rodrick? Un salaud qui profite de l’argent de papa? Un idiot qui se contente des notes passables? Tu vas devoir te forcer cette fois, parce que je te collerai dessus comme une sangsue pour récolter un beau A +. Le sang bouillonne dans mes veines, je devrais peut-être me calmer avant de déraper, ranger ces canines qui tentent de lui sauter à la gorge.

Bon, tranquille Erik. Je sors la feuille des notes prises il y a deux semaines. Étape par étape, il faut reconstruire une entreprise fictive en incorporant des employés jusqu’aux achats. Donc de calculer les échéanciers de production, ce qu’il faut commander versus les coups de fabrication, le nombre de personnes à engager, le prix des salaires, s’il faut des formations. Tout est noté de A à Z, on a qu’à choisir une compagnie et les chiffres d’affaires à la fin du dossier seront vite résolus. Il bouge tel un escargot ou quoi?

-T’en a mis du temps. Pourtant tu courais plus rapidement la dernière fois que je t’ai vu. Tiens. Tu es le genre à tout me laisser faire ou je devrai te botter le cul?

Lui passant le papier, j’attends de voir s’il a compris au moins un mot avec mon écriture plutôt féminine.

Codage par Libella sur Graphiorum

Les problèmes entre amis ? Il y avait viser juste et viser très juste. Au point que Danny ait lui même l’air surpris en entendant la réponse de son homologue. Des propos portant atteinte à sa vie ou à sa dignité, éventuellement. Mais certainement pas… « ça » ? Il jouait le jeu tout en déformant ses paroles dans quelque chose de plus acceptable(de son point de vue).  Pourtant Erik aurait probablement gagner en réputation à avoir un copain, imaginer que quelqu’un puisse le supporter au quotidien et dans l’intimité aurait presque pu le rendre sympathique. Alors comment interpréter ce comportement autrement ? Un nouveau sourire aussi bref que criant sur le fond de sa pensée traversa les lèvres du cancre présumé. Il savait.

« Où est le plaisir si c’est toi qui rempli mon chargeur ? »

Mais soit, non sans garder cet air satisfait, Danny se leva de sa place, les mains vides, pour contourner les bureaux et se diriger vers ce raton laveur enragé qui semblait être au coeur de l’attention. Ce qui n’était pas surprenant quand il avait cette fâcheuse tendance à lancer lui-même les commérages. Sans cela pourquoi aurait-il indiqué trente secondes après leur rencontre cette histoire de strip-tease ? Un refoulé en manque d’attention qui fabriquait l’animation autour de lui sans vouloir l’assumer ? C’était aussi ça un gosse de riche. Quand tout était donné sur un plateau d’argent, il fallait savoir se créer ses propres problèmes.

Erik semblait étonnamment être un bon élève, même si Danny n’aurait pas forcément compté là-dessus. Quand on avait autant de choses à prouver, il fallait voir un psy. Danny s’assit en face, jetant un coup d’oeil à la feuille, il observa brièvement ce qu’il avait écrit. Non, il sembla même lire avec attention, son regard descendant sur chaque lettre, chaque mot.

« C’est qu’il est sérieux le con. »

Et oui, il comprenait. Il avait assisté à suffisamment de ces cours pour savoir en quoi cela consistait, tout en gardant à l’esprit que ces connaissances, aussi valorisées soit-elles n’auraient jamais le moindre intérêt placées entre ses mains. Car l’apprentissage valait moins que le diplôme et que le diplôme ne serait jamais au nom de Danny Martel. Et malheureusement pour son partenaire de travail, Danny Martel avait pour instruction de n’avoir que des résultats moyen à médiocre, il visait donc un C et n’accepterait pas d’avantage, au risque d’avoir à rendre des comptes.

« Il manque quelque chose. »

D’une voix trop sérieuse, l’ex-livreur, avança sa main, venant adroitement dérober cueillir le stylo des mains de son camarade de classe, se privant du moindre contact avec ses doigts. Car on ne savait jamais, ce refoulé pourrait aimer ça. Puis, sans hésiter, il ajouta plusieurs coups de plume à différents endroits. Des coeurs trônaient à présent sur un bon nombre de « i ».

« J’ai pourtant plein de choses à t’apprendre. A commencer par le branding. Tu dois entretenir ton image de marque, si tu ne fais les choses qu’à moitié, ça aura moins d’impact. »

Et quelle image de marque. Bon, il y allait peut-être un peu fort, raison pour laquelle Danny se tenait au bord de son assise, prêt à lever le camp en un instant. Il aurait d’abord cru Erik incapable de l’agresser en pleine classe mais maintenant qu’il prenait conscience de combien ce type était en manque d’attention, le risque était bien là.

« Et si tu pouvais arrêter de parler mon cul, j’apprécierais. »

« C’est un privilège que j’accorde rarement et certainement pas à toi.»

Mesdames et messieurs, si vous acceptez de bien vouloir me suivre, notre prochain spécimen est le joyau de notre répertoire, importé tout droit des Etats-Unis aux frais de sa famille, le Erikus Pretentious est un mammifère appartenant à la famille des gosses de riches, réputé pour son caractère acerbe et son tempérament impétueux. Pour votre sécurité il vous sera recommandé de garder une distance de sécurité. En effet, bien que l’Erikus Pretentious se montre parfois avenant gardez à l’esprit que ses sautes d’humeur et son manque d’humour ne le laisseront jamais très loin de votre gorge. Etant un spécimen importé hors de son milieu naturel il est tout à fait imaginable que ces caractéristiques soient accentuées du fait de son inconfort et de son désarroi.

Mais plus sérieusement, était-il vraiment en train de lui prouver qu’il savait ce qu’était le « branding » ? Au premier degré ? Le regard pensif et sans bouger d’un pouce, Danny fixa le premier de la classe se justifiant auprès du roi des cancres d’avoir bien appris son cours. Comme s’il y avait une chance dans l’univers que Rodrick puisse se penser mieux informé. C’est ce qu’on appelait battre l’eau. L’ex-livreur hésita à l’interrompre pour lui faire remarquer, mais le laissa poursuivre en prenant un regard presque compatissant. Comment pouvait-on être à ce point à côté de la plaque ? Et après il était celui qui l’accusait de tout prendre au premier degré ?

Erik avait saisi cette occasion pour… frimer probablement ? Comme si Danny se souciait d’où le raton laveur serait dans 4 mois quand lui-même n’était pas certain de la réponse. Du peu qu’il en savait, il était possible que d’ici une semaine, il ait déjà quitté le campus. D’ici la fin de l’année scolaire ce serait certainement le cas, à moins que l’honorable famille Bolton ne se décide à l’adopter pour remplacer leur fils (ceci étant bien évidemment une blague). Dans ce genre de milieu, les élèves s’attendaient probablement à recroiser leurs camarades dans leur vie professionnelle, se constituer un répertoire de contacts étant un des objectifs majeurs. Pourtant, Danny était complètement coupé de cette réalité. Car peu importe les rencontres qu’il ferait ici, elles resteraient éphémères.

« Alors quoi ? Tu es suffisamment prétentieux pour penser que j’ai envie de savoir quelque chose à ton sujet ? »

« Pourtant j’ai déjà l’impression de te connaître comme si on avait grandi ensemble. Et si tu me proposais un vrai enjeu ? »

Sa mâchoire venant s’échouer dans sa propre main, Danny lui accorda le même regard. De toute évidence, Erik voulait le pousser à travailler ou à participer dans ce pseudo projet qu’ils devaient partager. Mais le cancre n’avait pas envie de s’y mettre. Et il ne sentait pas d’avantage de besoin de faire ses preuves auprès d’Erik. Il lui proposait un os, l’os ne l’intéressait pas. Alors que pouvait-il lui proposer d’autre ?

« Et je ne parle pas de ton argent, il m’en reste encore un peu. »

Ah, finalement la voix de la raison. Encore un peu et l’ex-livreur aurait fini par se vexer de son étanchéité face à la qualité de sa prestation. Rodrick n’avait rien à faire des cours enfin, presque. De ce qu’il en avait compris, son modèle était studieux, (secrètement studieux) mais trop prétentieux pour admettre qu’il travaillait en cachette. Rien d’étonnant, on ne se ventait pas du travail menant à un échec.

Par-contre, est-ce qu’Erik allait vraiment lui faire la leçon de la façade ? Quelques secondes après que Danny ait manifesté qu’il n’en avait, pour le dire poliment, rien à foutre ? L’avait-il pris pour un admirateur secret tachant de réveiller le cœur coulant sous cette carapace rigide ? Ou avait-il soudainement envie d’un confident auprès duquel il pourrait évoquer ses plaisirs les plus intimes alors qu’ils seraient allongés sur une nappe de pique-nique dans un champ de fleurs ?

Comment ne pas sourire à cette vision. Danny était dans sa tête et il y faisait bon vivre. A défaut de pouvoir être considéré comme un interlocuteur de qualité, à force d’entendre ses inepties, il fallait bien finir par s’en amuser ? Une distraction opportuniste, voilà ce qu’il était et le pseudo étudiant comptait bien en avoir pour son temps à défaut de son argent.

« Tu veux me faire croire que tu es seul derrière ton projet ? »

Tout le monde ne pouvait pas prétendre ouvrir son entreprise et il n’y avait pas que le talent ou les bonnes notes qui pouvaient assurer un tel avenir. Quoi qu’il fasse, Erik resterait un pistonné. Quoi qu’il en dise, Erik ne serait jamais traité de la même manière qu’un américain moyen. Les opportunités n’étaient pas les mêmes. Ah, effectivement, Rodrick aussi était un pistonné. Un comble mais Danny leva les yeux au ciel face à l’accusation.

« Et alors ? Quand on a des atouts autant s’en servir ? Si j’étais inquiet qu’on me coupe les vivres ça se saurait. »

Rodrick était un… con mais pas suffisamment pour être complètement désintéressé par sa famille. Car le financer était aussi un moyen de le garder sous contrôle, ça et le manque d’attention criant qu’il tentait de compenser. Quelle famille l’enverrait dans un centre de désintoxication hors de prix dans un pays étranger pour ensuite lui couper les vivres ? Non, cette famille était trop traditionnelle et de leur temps, envoyer le petit dernier dans un monastère ne se faisait plus.

« Comment ça, sauf mon besoin sexuel ? »

Le regard interloqué de Danny fixait déjà ses mains et celles de… ? Est-ce qu’il était sérieux là ?!

Sa première envie fut de les retirer bien plus brutalement qu’Erik ne les avaient prises, une légère crispation de lut dans le visage de l’imposteur, clairement emmerdé par ce que ce richou venait de se permettre. Il ne s’agissait que de ses mains pourtant et avec les tendances confirmées d’Erik, était-il si surprenant qu’il cherche un peu d’intimité à ses côtés ?

Ils n’étaient pas seuls et la meilleure stratégie à cet instant, même rigide était de laisser cet idiot s’enfoncer dans une réputation qui ne le lâcherait pas de sitôt. Heureusement, celle de Danny était un peu plus propre s’agissant de son orientation sexuelle. Erik le lâcherait bien assez tôt. Ou le tiendrait jusqu’à la fin du cours pour l’empêcher de se tirer.

« Tu es certain de vouloir enlever sexuel de ta liste ? »

Faisant abstraction de ses mains figées dans les siennes et tâchant de relâcher un peu les nerfs que trahissaient son sourire, vint le moment de se concentrer sur… autre chose. Course, nage, jeu de boisson. Danny aurait été confiant de gagner dans trois de ces deux disciplines. Sans s’attarder sur la nature plus « gamer » qu’Erik lui dévoilait, le dernier point était clairement plus à son goût.

Mais alors, est-qu’Erik était réellement en train de lui proposer un jeu intéressant ? C’était si rare que c’en aurait presque été prophétique. Danny jugea bon de manifester son intérêt, une lueur dans les yeux et un sourire taquin.

« Tu as l’air bien renseigné sur le lux et tu n’es pourtant pas du genre à te retenir sur les anecdotes, Monsieur Strip-tease. Il te serait vraiment arrivé quelque chose ? »

« De gros, peut-être ? »
Son sourire prit une autre tournure alors que dans son allure générale, Danny n’eut l’air que plus satisfait de la proposition. Il était joueur, bien trop joueur et c’était notamment ce qui l’avait incité à s’attirer les foudres d’Erik. Et face à ce raton laveur qui se tirait une balle dans le pied, il ne pouvait que le regarder faire. Certes, c’était aussi risqué pour lui mais, cette fois, il ne pouvait tout simplement pas manquer ça.

« Que propose-tu ? Se contenter de passer deux heures au bar à prendre la température ? Non, bien sur que non, il n’y a pas de jeu là-dedans. Et si tu gagnes, je fais un effort sur ton projet ? »

Que dire de ce contact ? Les adjectifs ne manquaient pas : indésirable, intrusif, désagréable, malvenu, incommodant, digne d’un couillon dont il ne savait pas si, emporté par la folie du moment, ne viendrait pas essayer de lui casser la figure quelques jours plus tard en s’indignant d’un geste qu’il avait lui-même initié. C’était dire le peu d’attentes que Danny avait envers Erik. Si lui était un fauteur de trouble, le raton laveur baignait dans des caprices chaotiques qu’on ne pouvait inventer. La colère était une émotion facile, prévisible et pourtant, il redoublait d’inventivité.

« Ma famille, mon argent, tu veux me faire pleurer ? »

Typique. A ne pas avoir de problèmes, on aimait s’en inventer. Et là où Erik voyait peut-être un esprit calculateur dominant toutes les probabilités, Danny ne voyait qu’un idiot prétentieux comme il n’en reverrait plus une fois qu’il serait retourné à sa véritable vie. C’est vrai ça, pourquoi s’emmerder quand il n’était qu’un segment dans son quotidien ? Le regard du cancre se fit plus léger à cette idée. Comme à son habitude, il ne sentait pas le besoin de se justifier auprès de ce spécimen, sa réponse fut donc à la hauteur de ce qu’il mettait en avant, sa capacité à l’emmerder.

« Pas que tu saches apprécier. »

Le contact de leurs mains se faisait plus long et comme un défi, Danny ne quitta pas le regard de son contradicteur. Il aurait presque eu de beaux yeux s’il n’avait pas cette personnalité de merde. Le plus… agaçant restait que ce raton laveur était le première type à lui tenir les mains aussi longtemps. Un comble. Et c’était le retour de l’anecdote, curieuse, à l’extrême limite de l’acceptable, très très gay pour être honnête. Comme s’il ne lui donnait pas déjà suffisamment de raisons de le traiter de refoulé.

« Peut-être que les « mecs » savaient ce qui était bon pour toi. »

En tous cas il n’y avait difficilement plus prosaïque que de frapper un danseur exotique que l’on aurait payé pour lui servir un show. Un type qui ne faisait que son travail et qui se retrouvait avec un oeil au beurre noir ? A croire qu’Erik appréciait d’être méprisé. Est-ce que Rodrick aurait fait la même chose à sa place, peut-être. C’était aussi ça, se croire tout permis. Maintenant comment descendre dans une estime qu’il n’avait pas ?

Par « tu sembles », il voulait dire « tu te crois ». Pas besoin d’être un génie pour lire ça. Mais Erik se pensait tout de même capable de le convaincre aussi facilement de faire sa part du boulot ? De ne pas le saboter ? Alors même qu’il semblait mettre un point d’honneur à être considéré comme un déchet ? Leur mains enfin séparées, Danny les reposa sur la table, esquissant un sourire aussi lourd que provocateur.

« Ok. Mais j’ai mes conditions. Je veux une garantie. »

Car il ne lui faisait pas confiance (étrangement). De toute façon, il y avait une solution évidente. Il pensa à ce qu’Erik pouvait valoriser. L’argent, il s’en foutait. Un bijou peut-être ? Danny ne le connaissait pas suffisamment pour en identifier un. Et un bijoux sans valeur sentimentale n’était finalement que de l’argent. Dans tout ce qu’Erik estimait, Danny ne connaissait qu’une chose. Le prestige scolaire.

« Le PAG de fin d’année. Tu vas t’inscrire avec moi. »

Un projet normalement périscolaire mais qui apparaissait bien sur les relevés de notes ainsi que dans le dossier lorsque quelques élèves particulièrement investis dans leurs études choisissaient d’y participer. Une opportunité scolaire importante mais aussi piégeuse. Depuis quelques jours seulement il était possible de s’inscrire mais dans les années passées, la question des groupes avaient posé tellement de problèmes qu’il n’était maintenant plus possible de changer de partenaire sans le consentement express de l’autre, à l’allure d’un couple ne pouvant divorcer sans qu’ils aient signés tous les deux la paperasse.

Telle serait sa garantie. Si Erik ne respectait pas ses engagements, Danny refuserait de signer le papier et il se retrouverait dans une situation similaire, voir pire puisque l’anglais aurait toute opportunité de se venger en cas de trahison. Mais ce n’était pas tout.

« Et ne pense même pas me demander une garantie en retour. Tu as déjà tout à gagner, pas vrai ? »

L’issue pour Erik serait que Danny donne de sa personne pour ce projet, il se garantissait donc au moins que son partenaire d’infortune ne cherche pas à le saboter. Il avait donc déjà sa carotte et se devait d’offrir à l’emmerdeur ce qu’il demandait.