Kris était parti récupérer les pizzas. Lui se retrouvait seul, dans ce lieu qui avait abrité ses larmes et ses gémissements de détresse. Un sentiment étrange se logeait au creux de sa poitrine l’espace d’un instant. Il lui semblait entendre le temps passer. Ressentir plus qu’à son habitude l’air qui se baladait dans la pièce. Une inspiration gonflait ses poumons abîmés par la nicotine avant qu’un long souffle ne s’échappe de ses lèvres. Tentant de relâcher une pression d’être de retour dans ce pays. Lentement, ses doigts montaient dans ses mèches blondes, les serrant, tandis que ses paupières s’abaissaient. Tout avait changé.

Moto cassée.

Pourtant, rien n’avait changé. Il ne manquait qu’un réel élément dans son entourage. Ce petit détail qui avait fait complètement vriller l’angelot squelettique

Ses billes bleues se révélaient à nouveau au monde. Une nouvelle détermination logée au creux de ses prunelles. Il ne pouvait déchanter. Il avait promis. Ils s’étaient promis. Alors pendant que le métis avait disparu, l’américain s’était mis à fouiller. Changer les draps. Ça tirait sur les taies d’oreiller, balançait les tissus à l’odeur de poussière sur le sol. Saisissant les draps pliés avec minutie, il apportait le tissu à son visage. Humant l’odeur qui en émanait. La lessive. Quelque chose de réconfortant. Une odeur qu’on appréciait quand elle enveloppait un corps.

Claquement dans l’air, les pliures dépliées. La couette rangée dans son fourreau. De même pour les oreillers. Le mannequin s’affalait sur son œuvre et fixait le plafond. Les bras étendus de part et d’autre de son corps. Ça repensait dans ses méninges à son patron laissé en plan. Il avait du se faire virer avant même d’avoir commencé. La poisse.

Le bruit des pas dans les escaliers. Sa nuque tournait vers l’origine de ce son. Puis son regard embrassait la silhouette qui passait le seuil de la porte.

Netlfix avait été démarré. Le film était déjà en pause, attendant patiemment le tatoueur. Il avait pris des décisions, chose inhabituelle pour lui. Logan se redressait pour s’assoir en tailleur et tendait les mains vers la pizza.

- Le film, il va t’plaire.

Burn out. Histoire de moto, de course et de deal de drogue. D’adrénaline surtout, de passion pour la vie. Ils en avaient besoin, d’un élan de vie.

Ça avait pris plus longtemps que prévu.
Parce qu'il connaissait le mec, parce que le mec le connaissait et que par conséquent il n'avait pas voulu juste lui poser les pizzas dans les mains et partir. Non, il fallait que le livreur soit un de ses habitués. "Pourquoi t'étais plus là?" "Ça va mec ?" et tout un tas d'autres questions toutes plus intrusives les unes que les autres. Faut dire que dans son état, tout était intrusif pour Kris. Il n'avait qu'une envie, grimper les escaliers et s'affaler contre Logan. Un peu comme un coloc'. Parce que c'était un peu ce qu'ils étaient depuis quelques temps : des coloc'.
Kris aimerait bien rester avec son coloc'.

La porte claque quand enfin Sébastien se décide à se casser devant le manque apparent de réponse du tatoueur. Les boites dans les mains, l'italien fixe la tâche de gras qui s'est formée à force de temps passé à s'étaler.
Il remonte.
Logan est là, une pile de draps dans un coin.
C'était mims ça. Surement la chose la plus active que le blond ait fait ces derniers mois. C'est rassurant dans un sens.

- Le film, il va t’plaire.

Il pose les pizzas dans les mains tendues mais ne s'assoit pas tout de suite. Ça sonne la fin d'une histoire cette soirée mais Kris il a toujours couru après les gens et les souvenirs.

- Logan ?

C'est peut-être de la panique qui le prend quand il se laisse tomber à genoux devant lui, avant de lui prendre les pizzas pour les reposer à côté d'eux. Tant pis pour la tâche de gras sur son sol. C'est pas important pour l'instant.
Il a l'impression de faire le deuil de quelque chose. Ça a un goût d'adieu.

- J'peux t'enlacer ? J'peux t'embrasser ? J'peux t'embrasser aussi ? Il sait que Logan, ça le fait paniquer ça alors il se rattrape, C'est pas grave si tu veux pas je sais que c'est sensible, vraiment.

Kris, il a cette façon d'essayer de bien finir toutes ses histoires mais souvent c'est les histoires qui ne veulent pas lui laisser cette chance.

La chaleur se glissait enfin entre ses doigts. Mais ce qu’il avait perçu avant ça, c’était l’odeur. Celle qui avait réveillé ses entrailles et dilaté ses pupilles. Après un tel voyage, la nourriture apparaissait comme étant le saint graal. C’est qu’il avait toujours quelques soucis avec la bouffe. Mais bien vite, la chaleur disparaissait. Laissant place à un regard bicolore désormais bien connu. Ce regard, celui qui l’avait sauvé bien des fois.

- Ça va pas ?

Parce que ça avait l’air soudainement très sérieux. Spontanément, la prostituée se demandait si elle avait fait une chose interdite. S’il avait merdé d’une manière ou d’une autre. Mais c’était Kris. Kris il avait tout accepté de lui. Il l’avait même emmené à l’autre bout du monde quand il ne ressemblait même plus à un être humain. Les questions étaient soudaines pour le blond. Il ne les auraient jamais envisagées. Probablement à cause du biais de négativité qu’il avait à son égard. Elle était même l’origine de toutes ses pensées envahissantes et routinières.

Il fallait quelques inspirations pour les intégrer. Avant que finalement, ses propres doigts ne se glissent le long de la nuque léchée par le soleil. D’une pression douce, il attirait l’hidalgo à lui, allongeant son dos sur le matelas et lui laissant place entre ses cuisses. Ses bras venaient remplacer ses doigts sur cette nuque, le serrant ainsi contre son torse. Les doigts fins de la créature se glissaient dans les mèches sombres pour les serrer. Comme un ancrage à la réalité.

- Commence par ma gorge…

S’il désirait l’embrasser. Que ce ne soit pas trop brutal. Qu’il ne se sente pas brusqué. Mais… C’était Kris. Kris, il ne le brusquait pas. Fermant les yeux, Logan posait son front contre celui de son homologue. Sentant son muscle cardiaque frapper plus fort dans sa poitrine. Sur lui, il percevait son poids, sentait son odeur, sa chaleur… Et quelque part, il ne se sentait pas en danger. Ce qui pouvait se ressentir par l’absence de raideur dans ses mouvements. Kris avait toute sa confiance. Et c’était autant un exploit qu’une malédiction.

C'était doux.
Tout était doux chez Logan depuis quelques temps.
Kris se surprend à penser qu'ils auraient été bien ensemble, il y a quelques années. Ils ne s'étaient pas heurtés assez vite et c'était bien dommage. L'italien avait toujours l'impression d'avoir du retard sur sa vie, sur les gens, sur ses relations. Du retard tout court. Et c'était dommage oui, tout était très dommage pour Kris.
Mais pas cet instant, pas lorsqu'en toute confiance, une confiance à laquelle il était sensible, le blond l'enlace et l'attire contre son corps. Il se laisse surplomber comme si le brun ne pouvait représenter ni danger, ni menace, comme si tout son être vivait et respirait le même air dans l'incapacité totale de lui faire le moindre mal.

Le corps de Kris s'alourdit contre celui de son compagnon, lorsqu'il fut sûr que son poids ne lui causerait pas de douleurs.
Les bras dans sa nuque atténuait ses vibrations crâniennes, faisant migrer petit à petit les insectes vers sa poitrine pour y vrombir d'autant plus.
Mon Logan. Mon tendre Logan.

- Commence par ma gorge…

C'est hésitant mais dans un soufflement presque libérateur à la fois.
Kris reçoit l'information sans se jeter directement sur son désir de tendresse. Son front se pose sur son épaule et ses bras se resserrent autour du corps plus mince du prostitué. Les minutes filent avant que ses lèvres posent un baiser doux sur son épaule, puis un autre proche de sa clavicule, une légère trace dans son cou sans s'y appesantir. Une multitude de baisers papillons, d'une légèreté si présente qu'ils en paraissent presque absents. Son attention dévie, plonge contre sa tempe, contre ses cheveux avec une attention amoureuse qui promet de ne jamais l'abandonner.

- Merci d'être venu avec moi. Il murmure, son front appuyé contre le sien, en prenant le temps de se perdre dans ses yeux aquatiques.

Ce fut une belle parenthèse. Il espérait qu'elle l'aide à s'en sortir.
Parce qu'il fallait qu'il s'en sorte.