Vanessa King
...
L’extinction des feux.
Tu l’as appréhendé, autre fois. Quand on déboule en pénitencier, c’est pas d’être enfermé qui fait peur ; c’est d’être enfermé avec les autres. Ceux qu’on connaît pas encore. Tu te méfiais, même dehors, même quand t’avais ta bande de loups. Tu te méfiais, même quand t’étais dans le haut de la chaîne alimentaire. Ici, ton instinct de survie explose en centaine de petites ramifications mauvaises qui te font tendre l’oreille à chaque pas, frémir à chaque regard oblique. T’es prêt, que tu te dis. À l’extinction des feux, les animaux nocturnes dévalent, et dans les ombres des cellules, les hommes retrouvent leur vrai nature. T’es prêt.
C’est là qu’ils sont venus. Quand il faisait noir. T’en a cogné un comme il faut, et un autre, mais ils avaient plus de haine que toi. Ça faisait changement.
Ils ont gravé la croix sur ton torse.
La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue. Jean 1:5
L’extinction des feux.
Tu l’attends, maintenant. C’est un moment calme où tout s’apaise à l’extérieur ; le bruit, les mouvements. À l’intérieur, l’intérieur de ta tête, c’est une autre agitation. Des ondulations qui n’ont pas de couleurs et de noms. Toute ta vie, tu les as repoussé, au goulot d’une bouteille, dans le chaos des NS. Les ondulations sont de petits serpents qui viennent chatouiller ta tête, venues du plus creux de ton corps.
Tu les laisses venir. Dieu est avec toi.
Les omoplates lourdes, enfoncées dans le matelas, les yeux fermés. Tu caresses doucement la peau circatrisée sur ton torse. Laisse tes doigts la dévaler, jusqu’à ton ventre.
Prends donc garde que la lumière qui est en toi ne soit ténèbres. Luc 11:35
Ta croix. Les voies du seigneur sont impénétrables.
Tu descends encore, caresse ton sexe, dans le silence de la cellule. Tu crois sentir le visage de ton co-détenu se tourner vers toi, après quelques secondes. Tu continues. Tu te branles en silence, ça te fait du bien. Ta peau est tellement sensible maintenant, toute la peau qui s’est ressoudée le long de ton corps. Un vallon blafard. Le chemin de la foi.
Le co-détenu t’a tourné le dos dans sa couchette. Il ronfle.
Tu te retournes aussi, te contractes, jouis dans un coin du draps. Ils vont les changer demain. Ils les changent toujours, le premier lundi du mois. Tout ton corps se détend, s’enfonce dans la brume noire.
Jusqu’à l’extinction.
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