Pourquoi la natation ? Parmi tous les sports existants, pourquoi « ça » ? Pourtant ce n’était pas les choix qui manquaient. Badminton, volleyball, course à pied, athlétisme, tennis, golf, mini-golf même si ça pouvait faire des heureux. Avec une telle sélection, il était difficile de croire qu’il y en avait encore pour volontairement se jeter dans un bassin cloré pour y battre des pieds. Et encore, si seulement aller de long en large était la seule chose qu’ils faisaient là-dedans…

Car oui, apprendre à nager, ça Danny pouvait comprendre. Lui aussi savait techniquement nager et lorsqu’on vivait sur une île (aussi grande soit-elle), ça pouvait s’avérer utile. Ne serait-ce que pour éviter de mourir de manière particulièrement prématurée. Mais non, ils ne s’étaient pas arrêtés là. D’autres « sports » avaient « émergés ».

Le waterpolo, tenez, du handball, dans l’eau mais pas trop. Le natation synchronisée, ou comment essayer de danser dans un environnement hostile en retenant sa respiration. Le plongeon, sautez et découvrez si votre point d’entré vous tuera. L’aquabiking, sachez que vous n’irez nulle part sur ce vélo.

C’était à se demander pourquoi Rodrick s’était obstiné là-dedans alors que de toute évidence, il n’était pas non plus si bon que ça. Pas un véritable podium depuis le collège, il avait largement eu l’occasion de changer de voie, et pourtant…

Heureusement, Danny n’avait techniquement pas à s’infliger tout ça. Rien qu’en nageant une longueur, il aurait été grillé alors commencer un match de waterpolo en maintenant le haut de son corps à la surface à la seule force de ses jambes, vous pensez bien. Le soucis était que cette dispense, bien que permettant d’éviter qu’on ne le jette à l’eau, le privait de tout autre sport sur le campus et ne l’exemptait pas d’assister aux entraînements du club de natation.

Il fallait donc imaginer sa présence deux à trois fois par semaine, vissé sur un banc, à espérer qu’on ne l’envoi pas tremper ses orteils et uniquement paré de son maillot de bain et de sa serviette, hygiène oblige.

Alors dans un premier temps, il avait tenté de s’instruire. Pourquoi tous ces types avaient l’air d’aimer ça ? Question qui n’avait visiblement pas trouvé preneur au vu du précédent paragraphe. Ensuite, il avait décidé de saisir cette occasion pour se rincer l’oeil. Il devait regarder l’entrainement ? Eh bien il allait activement le faire. Seul problème, passé les vestiaires et une fois tout le monde à la flotte, il n’y avait plus grand chose à mater. Car oui, l’eau avait cette tendance à brouiller les choses qui se trouvaient à l’intérieur. Cela dit ce point de vue l’avait conduit à un peu moins détester le waterpolo.

Mais voilà, le waterpolo ce n’était pas tous les jours et aujourd’hui il n’y avait absolument rien susceptible de lui faire passer un bon moment. Les membres du clubs étaient déjà à l’eau, n’en sortiraient pas avant une vingtaine de minutes probablement, ne restait donc que lui et un ennui à tuer une palourde.

Il était temps d’avoir recours à la troisième option, attendre depuis son perchoir le passsage d’une pauvre âme susceptible de le sortir de sa torpeur. Que ce soit les alentours de la piscine, la salle de pose, le couloir longeant le bassin. Rien lui échapperait. Et sincèrement, au point où il en était, n’importe qui aurait fait l’affaire.

Jackpot. Il fallait dire que le pauvre n’avait pas fait grand chose pour se cacher. A saluer les élèves, signifier sa présence et rester en place ? Comment pouvait-il prendre cela autrement qu’une invitation. Monsieur Nightingal. Professeur de maths émérite. Attentifs envers ses élèves. Admirable pour certains, sympathique et exigeant pour beaucoup d’autres. Certes, l’ex livreur n’avait pas la mémoire des visages mais l’oeil en moins lui facilitait clairement la tâche. Danny avait fait le tour de cette réputation et n’étant pas un bon élève, il n’aurait pas forcément été naturel pour Rodrick d’aller se faire remarquer d’avantage. Mais au sens du livreur, cette partie était… libre d’interprétation.

Il n’avait que trop vu ce banc et justement, le voilà qui se relevait, plaçant élégamment sa serviette sur son épaule comme il avait vu tellement de nageurs le faire. Pas vraiment utile quand en étant sec mais un brin mieux que de se trimbaler à moitié nu en public. Ne restait alors que quelques marches le séparant de sa destination qu’il parcouru deux par deux avant d’arriver à la fenêtre qu’il se garda de carrément escalader. Non, il allait se montrer un peu moins agressif. Aussi, il se contenta de s’accouder à la fenêtre avec un large sourire.

« C’est rare de vous voir ici, vous veillez sur vos élèves même en dehors des cours ? »

« Presque dommage de se dire que vous n’avez rien de mieux à faire. »

Forcément, on parler à nouveau de « monsieur Nightingal » et en dépit son côté pirate, le professeur n’avait clairement pas à se plaindre des cadeaux que lui avaient fait la nature. Agréable à l’oeil (jeu de mots voulu), Danny avait largement eu l’occasion de s’en rendre compte en cours. Et faute de pouvoir vivre sa meilleure vie dans ce beau monde, quelque part, il espérait que deux pouvaient expérimenter ce genre de choses à sa place.

Les chances que le coach vienne lui chercher des noises étaient faibles. Discuter avec un professeur était acceptable contrairement à un autre élève. Ils ne risquaient donc pas d’être dérangés pour si peu.

L’idée d’encourager l’équipe voudrait déjà dire qu’il existait une équipe. Et justement, il y avait matière à comprendre pourquoi les cours de waterpolo étaient réguliers et surtout obligatoires. En plus de quelques courses de relais. Les sports individuels attisaient la compétition et au sein de « l’équipe », Danny avait déjà pu remarquer quelques accrochage. De la rivalité parfois malsaine. Au moins de ce point de vue là, il n’était pas prêt de se faire des ennemis. Car finalement mieux valait que la personne l’ayant dans le collimateur ne soit pas capable de le noyer. Oui, il pensait précisément à ces documentaires qui évoquaient les dauphins solitaires et leur capacité à entraîner des nageurs vers le fond.

Mais il s’éloignait un peu de la question. Danny avait pris la peine de poser ses avant bras sur la fenêtre, le dos largement bombé pour s’adapter à la hauteur. Son langage corporel était sans équivoque, il s’installait, il prenait ses aises et il n’avait pas dans l’idée d’aller se rassoir prochainement.

« Je ne sais pas ce qu’ils feraient sans moi. Il ne faut pas dénigrer le rôle du spectateur. »

« Ou à l’inverse du fanservice. »

Un peu à la manière dont il assistait aux cours de mathématiques finalement, résistant de justesse à l’envie de s’avachir sur son bureau, regardant peut-être parfois d’avantage par la fenêtre qu’en direction du tableau. Au moins il avait la décence de ne pas sortir son téléphone et c’était déjà ça. Sa génération n’en était pas toujours capable, loin de là.

Son expression ou son sourire ne changèrent pas à la mention de sa prochaine reprise des entrainements. Il n’était pas angoissé, il serait certainement très loin d’ici avant qu’on ne commence à trouver ça étrange. Il passait donc une main sur l’arrière de sa propre nuque, mimant un massage pour signaler la zone endommagée.

« J’ai posé la collerette il y a un moment, je suis plutôt en phase de rééducation. Mon kiné a estimé que ça pourrait prendre du temps. Mais je suis mal placé pour me plaindre, je ne fais pas non plus le sport le plus dangereux. »

« La preuve, j’ai encore mes deux yeux. »

Il y avait des questions qui ne se posaient pas malheureusement, même si le passage de son regard sur la gauche pouvait peut-être donner un indice sur le fond de sa pensée. Tout était dans le l’expression du corps plutôt que dans les mots, le mieux restait de pousser l’interlocuteur à répondre aux questions qu’il n’avait pas posé. Et justement, après ce petit massage, Danny finissait par s’accroupir, gardant ses mains posées sur le rebord de la fenêtre cette fois, presque comme un enfant à la vitre d’un camion glace.

« Mais je peux comprendre la recherche de l’adrénaline. Ca vous arrive ? »

Et pour une fois il y avait du vrai là-dedans. La randonnée n’était pas si dangereuse mais l’escalade, parfois sauvage avait cette capacité à faire vrombir son coeur, comme si peu de choses pouvaient le faire. Ce n’était pas la peur de la mort mais la satisfaction de savoir que c’était la force de son corps qui le séparait du sol.

Ca alors. Est-ce que le professeur s’inquiétait de son divertissement ? Voilà qui poussait bien au-delà se la simple fonction pédagogique. Ou était-ce simplement une approche pour plaire à ses étudiants et en tirer une meilleure coopération ? Peu de membres du corps enseignant avaient la mentalité de se dire qu’une bonne entente avait de quoi provoquer une volonté de s’investir chez les élèves. Si cette méthode n’était pas non plus une science exacte, elle avait le mérite de fonctionner avec beaucoup d’étudiants, à l’inverse des techniques plus agressives.

« Parfois ? Si vous souhaitez convaincre le coach de me laisser manquer quelques entraînements, je ne vous arrêterais pas. »

Un petit sourire puis un regard plus patient. Non, il ne demandait pas réellement à Monsieur Nightingal d’aller défendre sa cause. Ce n’était qu’un moyen d’entretenir le dialogue. Car Danny n’était pas sans savoir qu’il était mauvais pour le corps pédagogique d’être en conflit face à un étudiant. Mais cela, le professeur de Maths le savait aussi certainement, n’est-ce pas ?

L’ouverture d’esprit du borgne était admirable et l’étudiant commençait à comprendre un peu plus pourquoi il était tant apprécié. Car sa remarque était « limite » et peut-être même provocatrice. Qu’il avait tout juste mesuré ses mots pour ne pas être inapproprié, son regard avait tout de même fait le reste et au sourire d’en face le message était passé ? L’ex-livreur inclina la tête vers le bas, traduisant sa surprise et son amusement. Il ne prit pas la peine de cacher son sourire, finissant par très vite relever les yeux.

Il l’aurait bien imaginé pourtant et quelle image. C’était à nouveau le pervers en lui qui parlait mais il aurait donné cher pour assister à un de ces combats. Le fleuret, pourquoi pas. L’épée, oui. Une prestation sans chemise ? Il n’aurait pas fallu lui demander deux fois. La piscine avait définitivement ses limites en ce sens.

« J’attends avec impatience la sortie du calendrier. »

Comment faudrait-il l’appeler, « les dieux de l’escrime » ?

« Vous allez vraiment me vendre l’histoire sans me la donner ? »

Sa curiosité était mal placée et maintenant que cette dernière avait été révélée au grand jour, Danny n’avait aucune raison de ne pas en demander d’avantage. Peut-être pourrait-il le prendre par les sentiments, pour obtenir une histoire passionnante. Peut-être même que Monsieur Nightingal avait un passé sombre ? Le pseudo nageur agrippa le rebord de la fenêtre du bout de ses doigts, venant placer la plante de ses pieds contre le mur situé en dessous dans un parfait équilibre, s’autorisant à se pencher légèrement en arrière.

« Entre l’escalade et ma capacité à chercher la merde ? »

Difficile de dire lequel des deux était le plus dangereux. A nouveau, une conversation dans laquelle il aurait réellement aimé participer, quel dommage que Rodrick ait eu une vie aussi… plate. Bichonné. Qu’est-ce qu’un gosse de riche pouvait faire dans ce genre de situation, quand même jouer au poker ne voulait pas dire risquer de finir à la rue. Il n’y avait bien souvent aucun enjeu.

« Est-ce que vous avez déjà essayé de prendre les transports en commun dans une grande ville ? Si ce n’est pas un sport à haut risque, je ne sais pas ce qui le serait. »

Le risque de se faire détrousser ? Ou plutôt d’être victime de violence au moment de se faire détrousser. Si Batman avait bien appris quelque chose, c’était de laisser les porte-feuilles et le collier de perles, ils auraient toujours pu en racheter d’autres.

Plaider sa cause auprès de ce taré du renforcement de l’esprit d’équipe et ne pas donner son nom ? Est-ce qu’une personne avec un coeur aussi grand existait donc ? Il ne s’agissait pas de donner des noms mais après avoir rencontré certains de ses camarades, ce Monsieur Nightingal commençait réellement à ressembler à la seule personne décente qu’il avait eu l’occasion de rencontrer ici. Sympas, raisonnablement sympas.

Rien à voir avec ces suçeurs qui se jetaient parfois à ses pieds en mettant en avant leur bonne volonté, leurs larmes et leur sang. Voilà qui l’énervait au moins autant que ces gosses de riches, des faibles. Il y avait un juste équilibre à trouver pour qu’une personnalité devienne « compatible » avec la sienne et ce professeur cochait étonnamment cette case. Etait-ce sa vrai nature ou simplement son habilité à lire la pièce qui lui permettait de viser aussi juste ? L’un comme l’autre, pourquoi chercher à faire la différence tant que la conversation lui plaisait ? En tous cas, le pseudo-étudiant lui accorda un sourire satisfait.

« Je compte sur vous. »

Mais mieux encore, il était réellement prêt à lui raconter l’histoire de son bandeau ? Sans vouloir jouer les groupies, Danny était clairement partant quand il s’agissait d’entendre les aventures d’un beau borgne. Et quel jeune homosexuel n’aimait pas les histoires de pirates ? Quoi de mieux qu’un peu de fantaisie pour le faire voyager et alimenter ses fantasmes qui restaient à ce stade la seule source alimentant sa vie privée.

« Les deux ? Je ne doute pas que vous savez vous y prendre quand il s’agit de raconter vos aventures. »

« Ou pour autre chose mais ça, je le laisserais à mon imagination. »

Bon, ça lui avait échappé. Cette phrase là sonnait définitivement comme un sous-entendu. Mais cela pouvait aussi relever de la simple coïncidence. Danny n’avait jamais rêvé d’une aventure avec un de ses professeurs mais pour sa défense, aucun n’avait ce genre de physique. Bon sang, à ce rythme, il commençait même à se demander s’il n’allait pas parvenir à se frustrer tout seul.

Reprends-toi Danny, tu es Rodrick Bolton, gosse de riche, abruti et surtout hétérosexuel.

Il n’y avait pas que ses mots qu’il devait surveiller, il y avait aussi tout ce qui relevait du langage corporel et s’il parvint à se retenir de ses mordre la lèvre, ce fut au détriment d’un regard qui s’égara quelques secondes. Il pouvait toujours prétendre que c’était lié à sa réflexion pour retrouver le fil de son anecdote. Et justement, plutôt que de continuer de le regarder, Danny fit le choix de regarder l’horloge située au-dessus de la porte.

« C’était à Londres, j’étais sorti avec un ami et mon chauffeur ne répondant pas, il m’a proposé d’essayer de prendre le métro. Quelques stations et voilà que trois types essaient de nous détrousser. Mon ami donne sa montre mais ils sont persuadés qu’on cache autre chose alors ça a légèrement dérapé. La soirée s’est terminée aux urgences. »

« C’était à Londres, j’étais sorti avec un ami et comme sa voiture était en panne et qu’aucun de nous n’avait trouvé un plan cul digne de ce nom, on a pris le métro pour rentrer. Sauf que des types nous avaient suivi depuis la soirée et n’avaient pas appréciés qu’on refuse leur merde, ça ressemblait à de l’ecstasy ? On s’embrouille, et l’un d’eux sort un couteau. Mon ami est blessé, les deux autres s’enfuient quand je spartade le troisième sur les voies. Mon ami et l’autre con s’en sont tirés mais on a quand même fini aux urgences. »

La vraie histoire était bien plus amusante mais malheureusement, ce n’était pas le genre d’aventure que Rodrick pouvait vivre. Surtout quand la morale de l’histoire avait été qu’aucune plainte n’avait été déposée contre qui que ce soit car des victimes comme des agresseurs, personne n’avait envie de remettre cette affaire entre les mains de la police.

Devrait-il payer ce deal d’une manière ou d’une autre ? Offrir un paiement en nature n’était pas vraiment une option pas vrai ? Bon, il avait toujours le droit d’en rêver. Monsieur Nightingal était un spécimen rare dans le corps enseignant. Très agréable à l’oeil un chouilla intéressant et pas complètement déraisonnablement plus vieux que lui, à vu de nez. Bon d’accord, Danny avait clairement un pied dans ce que l’on pouvait appeler « un crush ».

Une gentille attraction digne d’un lycéen découvrant son corps et ses hormones au profit de ce qui lui apparaissait comme un « idéal ». En général, il aurait s’agit d’une personnalité, un acteur, un chanteur ou toute personnes inatteignable et aussi artificiellement parfaite. C’était la personne dont on garnissait sa chambre de posters, celle dont on donnait le nom quand votre moitié vous demandait « si tu avais un pass pour me tromper ce serait avec qui » et ainsi de suite.

Et le problème avec ce genre de crush, était qu’en général, ne se présentait jamais l’occasion de les aborder, permettant de préserver ce rôle de figure presque mythique. Sauf que le prof de maths était là, qu’ils discutaient et que bien que l’ayant trouvé attirant, Danny n’en était pas à ce stade avant qu’il n’aient commencé à échanger. Peut-être justement car ils n’avaient pas tant parlé non plus ? En tous cas il aimait sa manière de présenter les choses, de raisonner et l’auto-dérision dont il était capable. Et maintenant voilà qu’il allait prendre sa défense.

« On appelle ça un chevalier en armure ? »

Le bord de la fenêtre n’était pas inconfortable en soit, cela relevait plutôt d’une question d’habitue et lorsque l’on avait l’habitude de s’installer en hauteur sur des barrières, il y avait un sentiment de déjà-vu. Ah, zut, Rodrick ne devait connaître que le confort que des fauteuils massant avec rembourrage en plume d’animaux protégés intégrés. Danny saisit le haut du cadre de la fenêtre, s’y agrippant le temps de se relever, accroupis au bord.

« J’ai cru que vous ne me le demanderiez jamais. »

De nouveau sur ses pieds côté piscine et échangeant par hasard un regard avec le coach, l’étudiant lui adressa un léger signe de main, courtois mais à la limite de l’arrogance quand il avait toujours semblé de moins bonne humeur au moment de regarder ces entrainements.

Sa place trouvée et son histoire adaptée mais racontée, Danny eut à nouveau le curieux plaisir d’entendre ce qui aurait ressemblé à une pointe d’inquiétude de la part de son professeur. Encore une chose à laquelle il n’était pas habitué. Rodrick était techniquement sujet à cette inquiétude mais il allait s’en contenter. Et quel meilleur moyen de ramener cette histoire à lui qu’avec une pirouette des plus artistiques. Passant sa main derrière sa nuque, il se saisit de la serviette posée sur son épaule, la retirant pour mieux exposer son torse.

« Comme vous pouvez le voir, je m’en suis plutôt bien tiré. »

Danny s’interrogeait souvent, il avait beau s’entraîner discrètement de son côté pour garder un semblant de forme physique, il redoutait ce jour où viendraient naître sur ses hanches les fatidiques poignets d’amour. Alors autant en profiter tant que sa plastique était irréprochable en invitant tout sauf innocemment un professeur à regarder, voir même mater s’il était dans le bon état d’esprit. Lui laissant quelques malheureuses secondes, et pour ne pas être trop transparent sur ses intentions, Danny finit par simplement changer sa serviette d’épaule, il n’avait pas la moindre cicatrice.

« Et mon ami va mieux. »

Venait enfin le moment d’entendre l’histoire qui valait la peine d’être écoutée. L’étudiant dû se faire violence pour ne pas simplement courber son dos et placer sa mâchoire dans sa paume. Ce n’était après tout pas le genre de posture que l’on attendait de… lui. Il resta donc droit, happé par l’histoire, le passif, les rebondissements. En soit, l’histoire était bonne et ce fût une des rares occasions où Danny fit état de sa capacité à rester silencieux plus de dix secondes.

« Je commence à peine à bien vous aimer et vous essayez déjà de me rendre jaloux ? »

Un peu décevant sur ce point mais c’était logique. Pourquoi aurait-il proposé aussi naturellement de lui venir en aide si ce n’était qu’il appliquait le même traitement à tous ses étudiants ? Au service des autres, voilà le détail qui ressortait de cette histoire, ça et son côté aventureux. Danny n’était qu’une de ses ouailles parmi d’autres. Le verdict aurait presque fait de la peine à donner.

« Bon travail général dans la transmission des émotions, on sent l’effort de l’orateur. Mais le public se plairait à dire qu’un peu plus de détails seraient profitables à l’histoire. »

Les félicitations étaient toujours ennuyeuses. Qui n’aimait pas recevoir un commentaire sur ce qui était à améliorer ? Soufflant entre ses dents, Danny finit placer ses mains en retrait à l’arrière du banc, étendant d’avantage son corps vers le haut, son regard longeant les longues poutres au plafond.

« Je n’aurais pas dit non à une histoire d’amour derrière ça. »

Il aurait presque sonné comme une écolière et cette seule idée fit renaître chez l’étudiant un sourire plus taquin.[/color]

Allait-il avoir droit à son histoire d’amour ? Ou allait-il faire fuir le beau prof de maths avant qu’il n’ait eu l’immense privilège de lui parler de sa vision d’un conte à l’eau de rose ? Ce scénario avait beau commencer comme une blague, Danny était sincèrement curieux.

A ce stade, il avait vaguement repéré le regard de Monsieur Nightingal sur lui mais ne se faisait pas d’illusions. Il n’en était pas au point de l’attraper par la nuque pour le contraindre à le mater mais il fallait bien reconnaître qu’à force de lui-même mater un peu trop, être un peu le sujet de cette attention n’aurait pas été déplaisant. Question d’égo.

Toutefois, était-il bien fairplay de sa part de lui renvoyer ainsi la balle ? On ne demandait pas à quelqu’un qui avait fait le premier pas de faire le second, plus le troisième, c’était la moindre des politesses. Pourtant, voilà que le pirate suggérait à l’étudiant de faire toute cette belle marche seul, ou plutôt en le prenant par la main sur toute la longueur (de la route, hein).

Alors fallait-il y voir un moyen pour le professeur de l’occuper à l’allure d’un gamin auquel on donnerait une à une les pièces d’un puzzle pour lui faire croire à un semblant de complicité ou brillait-il vraiment par son manque d’intérêt pour l’amour avec un grand A ? La première option était plausible, la seconde était triste. Mais dans les deux cas, reconnaître qu’il le prenait pour un gamin à distraire n’aurait pas eu grand intérêt, sauf à couper court à leur conversation.

Pensif, Danny observa l’oeil valide de son interlocuteur de son regard prétendument vert jusqu’à ce qu’une solution à son goût ne vienne animer le sourire au coin de ses lèvres. Non, il allait rester sur sa lancée.

« A mon âge, je ne sais pas si je saurais vous raconter une histoire d’amour sans contenu sexuellement explicite. »

Si c’était là un moyen pour Monsieur Nightingal d’éviter un sujet fâcheux, il venait de se tirer une balle dans le pied. Mais plutôt que de lui laisser le temps de protester et de fixer des limites, Danny reprit presque aussitôt, joueur.

« C’est d’accord. Mais je vais avoir besoin de votre aide. Je raconterais l’histoire mais vous choisirez les personnages. »

« Je ne vous en voudrais pas si vous choisissiez vous ou moi. »

Leçon n°1 sur la meilleure manière de le rendre complice des conneries qu’il allait raconter. Il ne mentionnait plus le caractère sexuellement explicite du contenu qu’il avait plus tôt mentionné. Etait-il encore sur la table de son histoire ? Peut-être, ou peut-être pas. En tous cas, il n’aurait pas semblé naturel de l’évoquer de nouveau.

L’histoire serait inventée car Danny n’avait rien se rapprochant d’une histoire d’amour à raconter. Jusque là, rien de bien étonnant.

Se voir imposer des personnages était également pour l’imposteur un bon moyen de… se cadrer. Ou plutôt d’éviter de choisir lui-même deux beaux spécimens de sexe masculin au mépris de la pseudo hétérosexualité qu’il était supposé conserver. Le professeur pouvait bien lui imposer une idylle entre un homme et une femme. Ce serait décevant mais il saurait faire.  

« Les premiers qui vous viennent à l’esprit. »

Il aurait été dommage de laisser au professeur le temps de mesurer la portée de son choix, même s’il ne doutait pas qu’il le ferait un minimum. Dans un dernier geste, Danny porta son index à ses lèvres.

« Promis, ça ne sortira pas d’ici. »

Est-ce que ce cher Monsieur Nightingal avait déjà quelqu’un en tête avec qui il aurait voulu « matcher » ?

Avait-il envie de croire dans l’histoire de ce bretteur qui était fort de son manque d’expérience en amour ? Une absence d’amour ne voulait pas dire une absence d’expérience sur un plan charnel et Danny était très bien placé pour le savoir. Cela dit, encore une fois, ce n’était pas la manière dont il avait envie d’idéaliser le professeur. Par chance, il n’y avait que lui et son esprit pour juger de ce qui était ou non acceptable. Il n’y avait aucun compte à rendre pour ses fantasmes dès lors qu’on les gardait pour soit. Au moins son rire avait quelque chose de rafraîchissant.

« « On récolte les graines que l’on sème » Ou quelque chose dans ce goût là. »

Si vraiment il voulait entendre une histoire d’amour inventée par ses soins, il pouvait très bien se la raconter avant de dormir mais il n’était pas dans sa nature de faire des sentiments plus d’un quart d’heure par jour au contact d’une personne bien plus pure qu’il ne l’était. Alors oui, le professeur devrait mettre la main à la pâte. Mais de là à le choisir comme l’un des personnages.

« C’est la mention du contenu sexuellement explicite qui vous a poussé à me choisir, professeur ? ~ »

Pourtant, ce même professeur semblait hésitant quand à se présenter comme le second personnage de cette histoire. Des doutes ? De la déontologie également peut-être ? Danny n’était pas du genre à faire tant de manière et face au risque de devoir raconter une histoire portant sur lui et une demoiselle (erk) :

« Si vraiment vous vous intéressez à mes préférences pourquoi ne pas également parler de position ? »

Celle-là, il avait bien failli la sortir mais par miracle, il parvint à tirer le meilleur de lui pour transformer ce commentaire en quelque chose de plus acceptable et moins susceptible de faire courir la nouvelle d’un comportement complètement inapproprié avec un de ses professeurs. A l’allure de la manière dont il avait rassuré plus d’un homme sur la manière dont cette étreinte ne remettait pas en cause leur sexualité, il afficha un sourire détendu à l’attention de son professeur, à l’abris de tout vice.

« Quitte à inventer une histoire je ne vois pas de raison de tenir compte de mes préférences. L’amour est l’amour pas vrai ? »

Voilà qui aurait fait bondir un homophobe, pardon Rodrick mais Danny sentirait son imagination tourner court s’il s’agissait de ce genre d’histoire. Et pour régler ce problème, mieux valait remettre ce cher professeur sur la bonne voie. L’étudiant reportant son pied sur un des fauteuils face à lui, se créant un accoudoir par la même occasion pour mirer le reste du public.

« Mon imagination n’est pas suffisamment florissante pour créer à la fois une histoire et un personnage, un modèle serait donc d’une grande aide mais libre à vous de choisir une personne dans cette salle pour remplir ce rôle. Ce n’est qu’une histoire après-tout. »

Dans ces conditions, un noble professeur pouvait-il envoyer un de ses élèves ou pire un de ses collègues à l’échafaud ? Si quelqu’un dans cette pièce devait passer sur le bûcher et qu’il était le seul susceptible de choisir qui cette personne serait. Laisserait-il le tramway poursuivre sa route ou ferait-il une démonstration du sens du sacrifice plus tôt esquissé ? Finalement, en se proposant, n’épargnait-il pas à un innocent d’être mêlé à cette histoire ?

Quel mec bien ce prof de Maths. Et c’est justement pourquoi il voulait le voir faire quelque chose d’un peu moins bien. Rien d’illégal. Mais de gênant ? Oui. Impossible de se mettre à sa place ou d’envisager ses raisonnements, seulement la façon dont le piège était en train de se refermer. Car Monsieur Nightingal n’était pas de ceux qui voulaient décevoir ses élèves.

Après tout, il fallait une envie de satisfaire assez viscérale pour vouloir mettre à l’aise même les homophobes. A la fois admirable et tolérant des plus intolérant mais tel était le professeur que beaucoup de ses élèves se le représentaient.

Jusqu’à cette façon d’éluder et de déduire l’indéductible avait quelque chose d’attachant. Pas besoin d’être le plus perspicace pour avoir du succès. De toute façon, l’intelligence s’accompagnait régulièrement de gros malaises et le borgne n’avait pas à s’embarrasser de cela lorsqu’il était déjà une star parmi les parmi les professeurs.

Toujours légèrement penché en avant, sa mâchoire logée dans sa main et son regard interrogateur et à l’extrême limite de l’insistant posé sur son interlocuteur, il lui rendit un sourire léger, puis il croisa ses doigts pour les étirer vers l’avant.

« Comme je viens de vous le dire, je n’ai pas une âme d’artiste et mon imagination est… un tant soit peu limitée. Et considérant ma propose sensibilité, mieux vaut que l’histoire d’amour soit inventée de long en large. »

Des personnages réels pour une histoire des plus fictives qu’il aurait à inventer au fur et à mesure, tel était l’accord. Il avait ses failles et si l’invention d’une fan-fiction en présence d’un professeur à la piscine n’était pas le développement le plus commun. Il avait quelque chose de très, très amusant.

« A moins que vous ne préfèreriez finalement l’histoire vraie focalisée sur le contenu sexuellement explicite. »

Que pouvait-il faire de plus pour encourager le professeur à mettre les pieds dans le plat ? A apposer sa signature sur une histoire des plus inconvenante qui, si son raisonnement était juste, finirait par avoir pour personnages principaux leur propre personne. Restait bien une option, dont il doutait qu’elle fonctionnerait. On ne faisait pas du charme à son professeur (en général). Par contre, il n’était pas si peu commun d’essayer de s’attirer sa sympathie pour rendre un devoir plus tard ou revaloriser une note décevante. Et s’il n’y avait jamais lui-même eu recours, n’était-il pas sensé être l’ami de ses élèves ?

Danny finit par baisser légèrement la tête, son regard posé sur ses genoux, une position plus fermée, trahissant une volonté d’exprimer un inconfort. Il se triturait les doigts.

« Je n’ai pas de véritable histoire d’amour en stock à vous raconter… »

Monsieur Nightingal avait pourtant l’occasion incroyable de lui donner une chance d’imaginer au moins quelques instants une histoire d’amour qui en prime inclurait Danny, selon le choix de son professeur ! Et il n’allait pas priver un jeune en mal d’amour d’une histoire pour lui réchauffer le coeur ne serait-ce que quelques instants ?

« C’est plus le moment de vous défiler. »

Et en soit, ils ne faisaient rien de mal ? Il y avait bien longtemps que le borgne aurait pu s’échapper de cette conversation. Le faire maintenant, lui collerait une étiquette de connard insensible.